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27 janvier 2017 5 27 /01 /janvier /2017 01:32

Au crépuscule d'une carrière universitaire dont il n'espère plus rien, le professeur d'Histoire Javier Leonardo Borges retrouve foi en son métier et en son ego avec la découverte troublante d'un lien caché, improbable, entre les civilisations aztèque et turque du XVIème siècle. Une révélation sans précédent qui ébranlera ses connaissances, jusqu'au sens de la notion d'Histoire.

Comme en écho à la figure tutélaire qui le hante en filigrane – celle de Jorge Luis Borges – Comment les grands de ce monde se promènent en bateau propose de revisiter l'Histoire sous la forme d'une pure et réjouissante fiction. Un roman fantaisiste d'enquête et d'aventure s'ouvrant sur les recherches d'un professeur grincheux pour donner progressivement la parole aux actants mêmes de l'Histoire, dans un superbe mouvement de glissement énonciatif, presque cinématographique. Déroutant peu à peu nos repères narratifs et brouillant sans cesse les indices d'une véracité bien subjective (la vérité est toujours ailleurs), Mélanie Sadler bâtit son intrigue comme un dialogue fantasmé entre le chercheur et le vivant sujet de ses recherches. Plus qu'un enchaînement de faits vérifiables, l'Histoire résonne ici comme la somme sibylline, nébuleuse, d'une multitude de points de vue, de voix entremêlées.

Rocambolesque dans l'audace fictionnelle de ses révélations, efficace dans la forme concise qu'il adopte (enchaînement quasi filmique de courts chapitres) et animé par une plume aussi malicieuse qu'élégante, ce roman se donne à lire comme un conte, celui d'un chercheur désenchanté réenchantant bien malgré lui la trame d'une Histoire tout sauf irrécusable. Une fabulation jubilatoire dans l'ironie permanente que décoche son auteure sur un monde professoral dont elle connaît le moindre rouage. Une fable polyphonique et polysémique de belle facture, qui s'érige, à contre-courant de la médiocrité et du premier degré galopants, comme un hymne à l'ambiguïté salvatrice du doute, à l'art du questionnement sous toutes ses formes, pour s'achever en une puissante image poétique sur l'héritage et la postérité. Sobresaliente !

 

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3 janvier 2017 2 03 /01 /janvier /2017 00:02

 

Le Nirvanaddict

The Neon Demon, de Nicolas Winding Refn : beauté hypnotique et morbide des images, perfection et viscéralité extrême de la mise en scène, richesse symbolique et psychanalytique du scénario, atmosphère angoissante distillée par la bande originale. Le film de 2016 qui m'aura le plus hanté, certainement l'un des plus aboutis de son auteur.

Les Huit Salopards, de Quentin Tarantino : classe formelle de chaque plan, des acteurs qui s'en donnent à cœur joie, des dialogues écrits et débités à la perfection, une ambiance joyeusement malsaine, des explosions de violence redoutables. Un réjouissant bijou de maîtrise et de minutie, doublé d'une galerie de sales gueules inoubliables.

Zootopie, de Byron Howard et Rich Moore : éblouissement visuel de chaque instant, rythme endiablé, galerie de petits personnages attachants, multiples niveaux de lecture et références en pagaille, un film d'animation d'une intelligence et d'une générosité folles.

Conjuring 2 : Le Cas Enfield, de James Wan : enfin un vrai film d'horreur, posé et visuellement léché, qui pense en permanence au sens de ses cadrages et – plus important encore – du hors champ. Le sentiment d'angoisse et de malaise s'en retrouve décuplé, pour notre plus grand plaisir. Mention spéciale à la scène de l'interview et son jeu brillant sur la mise au point de la caméra comme moyen d'occultation.

Creed : l'héritage de Rocky Balboa, de Ryan Coogler : la mise en scène n'a certes rien de révolutionnaire, mais elle est empreinte d'un classicisme au sens le plus noble du terme, donnant aux enjeux dramatiques et aux personnages une dimension universelle et touchante qu'on n'est pas prêt d'oublier. Sylvester Stallone – comédien ô combien sous-estimé – nous livre ici un chant du cygne proprement bouleversant. Réalisme et intensité des combats de boxe toujours aussi hallucinants.

 

Et pour quelques bobines de plus...

Midnight Special, de Jeff Nichols : un road-movie atypique, teinté de science-fiction et doublé d'une belle parabole sur la paternité, où la pudeur tranquille de la mise en scène laisse sourdre une discrète mais réelle émotion.

High-Rise, de Ben Wheatley : vision hallucinée et hallucinante d'une décadence, d'une déliquescence sociétale à travers un film catastrophe psychédélique et mental tourné en huis clos dans un immeuble métaphorique d'une lutte à mort des classes. Largement plus audacieux que le timoré (et surestimé) Snowpiercer qui tentait pourtant d'illustrer un thème similaire.

Doctor Strange, de Scott Derrickson : petite incursion réjouissante des studios Marvel dans l'univers de la magie, des dimensions parallèles et des triturations de la trame du temps, qui vaut surtout pour la classe folle de Benedict Cumberbatch, la perfection de ses effets spéciaux, son rythme trépidant et son finale qui propose enfin autre chose que l'insupportable conclusion pétaradante et victorieuse qui caractérise la grande majorité des blockbusters actuels.

X-Men : Apocalypse, de Bryan Singer : certes plus bourrin et plus conventionnel que ses prédécesseurs, le dernier volet de la saga parvient à conserver le petit supplément d'âme qui la distingue des autres franchises de super-héros, à savoir des personnages attachants et torturés, un questionnement permanent sur la frontière entre humanité et monstruosité. La séquence en ultra-ralenti, portée par Sweet Dreams des Eurythmics, est un pur bijou d'inventivité et de minutie graphiques.

Rogue One : a Star Wars story, de Gareth Edwards : une première heure laborieuse et inutilement alambiquée, des personnages qui manquent de charisme, mais une impressionnante maîtrise du gigantisme intergalactique et un puissant morceau de bravoure final, couronné par un éclat de barbarie qui restera dans les annales. Certainement pas le meilleur film de la saga Star Wars, mais un légitime fragment de son univers étendu, n'en déplaise aux studios Disney.

The Revenant, d'Alejandro Gonzalez Inarritu : une beauté formelle renversante, un sens du cadre et du découpage filmique virtuose, mais une absence regrettable d'émotion et des longueurs redoutables. Inarritu aurait pu accoucher d'un chef-d’œuvre absolu, s'il s'était soucié de la psyché de ses personnages et du rythme de sa fresque autant que de la perfection graphique de ses plans.

Deadpool, de Tim Miller : crétin, bourrin, potache, à des années lumière de l'irrévérence et de la folie ambiante du matériau originel, mais un bon petit délire régressif avec un Ryan Reynolds qui finit par faire mouche à force d'en faire des tonnes. Quelques scènes d'action vénères, des punchlines bien senties et une tonalité libidineuse qui tranche radicalement avec la timidité asexuée des autres films de super-héros. Espérons que la suite, déjà prévue, ouvrira complètement les vannes de l'insanité.

 

Mieux vaut tard que jamais : mes plus belles séances de rattrapage

Le Dernier Pub avant la fin du monde (Edgar Wright), Les Disparus de Saint-Agil (Christian Jaque), Les Yeux sans visage (Georges Franju), Whiplash (Damien Chazelle), The Duke of Burgundy (Peter Strickland), Prisoners (Denis Villeneuve), L'Année du Dragon (Michael Cimino), Ex Machina (Alex Garland), Enemy (Denis Villeneuve), La Taverne de la Jamaïque (Alfred Hitchcock), It follows (David Robert Mitchell), Comment c'est loin (Orelsan, Christophe Offenstein), Serpico (Sidney Lumet), Spetters (Paul Verhoeven), La Falaise mystérieuse (Lewis Allen), Garde à vue (Claude Miller), Les Banlieusards (Joe Dante), Au revoir les enfants (Louis Malle).

 

La fosse à purin de 2016, ou les lauriers de la honte

Suicide Squad, de David Ayer : une insulte permanente crachée à la face du spectateur, personnages inexistants, mise en scène proche du néant, absence totale de rythme et d'enjeux dramatiques, dialogues d'une nullité abyssale, acteurs en roue libre, laideur visuelle... Une catastrophe industrielle à oublier illico.

La Cinquième Vague, de Jonathan Blakeson : un film d'invasion extra-terrestre pour ados atrophiés du bulbe, depuis son introduction putassière jusqu'à son finale d'une crétinerie olympique.

Divergente 3 : Au-delà du mur, de Robert Schwentke : suite insipide de films déjà insipides, au message faussement subversif, qui se réfugie faute d'enjeux dramatiques dans une bouillabaisse indigeste de zombies et de séquences post-apocalyptiques déjà vues (en mieux) dans un nombre incalculable de productions. Une compilation cupide de thèmes à la mode n'a jamais fait un bon film.

Le Chasseur et la Reine des glaces, de Cedric Nicolas-Troyan : patchwork racoleur et mercantile d'heroic fantasy débouchant sur une fresque d'aventure au rabais, prévisible et mollassonne, d'une niaiserie confinant au cauchemar.

The Assassin, de Hsiao-Hsien Hou : l'archétype du film auteurisant, qui cherche en vain à camoufler la vacuité de ses enjeux sous les oripeaux d'une splendeur visuelle maniérée, qui n'a de virtuose que sa capacité à distiller un ennui aussi lourd qu'une chape de plomb.

Hardcore Henry, d'Ilya Naishuller : pourquoi ne pas avoir directement concocté un vrai FPS sur console de salon, plutôt que cette chimère laborieuse et hystérique ?

Captain America : Civil War, d'Anthony et Joe Russo : la quintessence du produit Marvel calibré, formaté, prisonnier d'un carcan de codes qui ne changeront jamais. Marvel n'est pas un studio de cinéma, juste une vulgaire photocopieuse.

Batman V Superman : L'Aube de la Justice, de Zack Snyder : DC Comics s'allie à Warner Bros pour photocopier le Marvel Cinematic Universe, les cartouches de couleurs en moins, un sinistre toner de sérieux en plus.

 

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5 juillet 2016 2 05 /07 /juillet /2016 21:38

Il y a quelque chose de pourri au royaume de la mode, quelque chose de morbide dans l’image de la chair, quelque chose de barbare dans la chair des images. Tel est l’axiome asséné par les premiers plans de The Neon Demon, une nymphe ensanglantée gisant sur un divan de studio, mitraillée par les flashes avides d’un photographe, tableau hiératique aux allures de scène de crime, scandé par les pulsations oppressantes d’un synthétiseur implacable.

Après avoir sondé l’intimité du gangstérisme (trilogie Pusher), la violence intrinsèque à la création artistique (Bronson), la psyché d’un barbare mutique (Valhalla Rising), la mécanique – au sens automobile du terme – du cinéma américain (Drive) et les démons d’une famille apatride ravagée par une figure maternelle despotique (Only God Forgives), Nicolas Winding Refn reste fidèle à son cinéma démiurgique, où la recherche du plan parfait touche à l’obsession, où la narration se construit de manière exclusivement visuelle. Avec The Neon Demon, son formalisme maniaque trouve un écrin idéal dans le récit initiatique de Jesse (Elle Fanning), jeune modèle fraîchement débarquée à Los Angeles, la ville aux mille néons, qui va déchaîner la convoitise de ses concurrentes, toutes avides de percer dans l’univers de la mode. Un univers fascinant et féroce, clinquant et postiche permettant à Refn, par son matérialisme même, d’explorer en profondeur la question de la beauté.

Adoptant la forme d’un conte moderne, à travers des éclairages féériques, une douceur assumée du grain de l’image et la puissance incantatoire de sa bande originale, The Neon Demon transfigure progressivement son postulat de départ – à savoir une vision critique mais hypnotique des dessous de la mode – pour aboutir à une parabole horrifique et fantasmagorique de la féminité, de la beauté féminine. Sublimées en permanence par la folle élégance de la photographie de Natacha Braier, les personnages féminins incarnent les facettes du fantasme ultime vendu par notre société de consommation : la jeune femme parfaite. Révélateur de l’envers de ce fantasme par son métier même, la maquilleuse et thanatopractrice Ruby (Jena Malone, géniale d’ambiguïté) emblématise le basculement du film vers un horizon de cauchemar, en attisant jusqu’à une violence sanguinaire, dans un dernier acte flirtant avec la mythologie vampirique, la jalousie des concurrentes de Jesse. Image d’une trinité féminine diabolique et tentatrice (scène de la danse du démon, symbole étrange et récurrent des trois triangles assemblés), démoniaque dans sa recherche obsédée des néons de la perfection.

Vision hallucinante et hallucinée d’un fantasme de beauté féminine, The Neon Demon se révèle ultimement comme une psychanalyse picturale de cet idéal inatteignable. La géométrie aliénante des plans, enfermant chaque personnage dans une bulle catoptrique ne lui renvoyant que le reflet de lui-même, aboutit à la révélation d’une incommunicabilité (vacuité des dialogues de sourds entre mannequins), d’une tentative vaine de percer l’intimité de l’autre autrement que par la violence (symbolique omniprésente de la pénétration). Un isolement humain qui culminera lors d’une saisissante scène de nécrophilie, triste preuve d’amour à sens unique et contre-nature, forme de culte morbide et désespéré de l’image de l’autre.

Point quasi final d’un film au formalisme obsessionnel, à la beauté glaçante et à la lisière du fantastique, le symbole de l’œil ne renvoie-t-il pas Refn à ses propres démons cinématographiques ? A travers le personnage de Jesse, incarnation d’une perfection féminine destructrice que les autres jalousent, ce sont les angoisses liées à son art que Refn nous exhibe, cette peur de ne plaire à personne, cette profonde crise de confiance qu’il ressent de manière maladive à chaque tournage. Là où certains ne verront que la monstration pompeuse d’un égocentrisme, The Neon Demon se révèle comme une séance d’exorcisme viscérale pour son réalisateur, un moyen d’excrétion artistique de son univers mental, à l’image du corps de Ruby refoulant entre ses cuisses des vagues de fluide innommable sous la lumière spectrale de la lune. Au fond, n’est-ce pas la vocation de tous les grands artistes de mettre en scène les régurgitations imaginales de leur propre inconscient ?

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4 janvier 2016 1 04 /01 /janvier /2016 15:35

Paresse du scénario, étroitesse des enjeux, mauvais remake ou reboot de la première trilogie, plagiat, absence de prise de risques, intrigue sans surprises… A l’opposé de la réception dithyrambique d’une large partie de la critique, nombreux sont ceux qui n’ont pas hésité à exprimer leur déception, leur dégoût, voire leur haine envers Le Réveil de la Force, le septième volet de la saga Star Wars, le marketing délirant érigé autour du film amplifiant d’autant plus l’accablement des plus réticents. Nouvelle figure de proue du débat typique entre l’universel et le simpliste, relancé en 2009 avec la sortie d’Avatar de James Cameron, Le Réveil de la Force est le parfait exemple du blockbuster tiraillé entre son pesant cahier des charges imposé par les studios et son devoir de renouveler les codes de la franchise à laquelle il appartient, entre sa volonté de respecter les désirs des anciens fans et de marquer les jeunes générations. Au-delà de la trop simple dichotomie du « J’aime / J’aime pas », la question n’est pas de savoir s’il faut voir ou ne pas voir Le Réveil de la Force, mais plutôt comment le voir, comment l’appréhender. Quel regard porter sur la nouvelle poule aux œufs d’or de Disney, sur un film hanté par la nostalgie de ses glorieux ancêtres et destiné à leur succéder en introduisant sa propre saga au sein d’une mythologie déjà bien établie ?

Ce qui frappe au premier abord, c’est la constante posture d’humilité adoptée par Abrams par rapport à ses modèles (les épisodes 4 à 6 essentiellement). Visuellement, le film impose une tournure, une apparence rétro qui le place dans la parfaite lignée esthétique de la première trilogie (utilisation de la pellicule et de lentilles anamorphiques Panavision, décors réels, effets spéciaux de plateau). A cette patine vintage – particulièrement appréciable face à l’homogénéité numérique fade et hideuse des blockbusters actuels – s’ajoute un jeu d’échelles permanent dans le cadre, conférant aux éléments repris des anciens épisodes une stature de gigantisme (épaves impressionnantes issues de la guerre entre l’Empire et la Rébellion) en forme d’hommage révérencieux. Une humilité qui s’inscrit également dans le traitement des nouveaux personnages, pour lesquels Luke Skywalker et Han Solo, l’ordre Jedi et le côté obscur constituent une véritable mythologie, mais aussi dans un cadre introspectif, dans la mesure où le film témoigne directement du trac de son réalisateur, de ses doutes à l’idée de succéder à ses modèles. Véritable relai intradiégétique d’Abrams, le personnage antagoniste de Kylo Ren, torturé par un inavouable complexe d’infériorité, emblématise à lui seul cet écartèlement, étouffé par la figure tutélaire, sacrée, de Dark Vador (à laquelle il voue un véritable culte, à l’image des fans de la première heure) et ses propres désirs de grandeur maléfique. Son dilemme est celui d’un réalisateur de blockbusters, tiraillé entre sa posture de faiseur soumis aux studios (Kylo Ren est montré comme l’homme de main du Premier Ordre) et son ambition de faire un grand film (Kylo recherche l’excellence dans le côté obscur).

Conscient de sa posture, Abrams nous livre un film d’aventure à l’ancienne, à la fois humble et paradoxalement puissant dans sa confession d’humilité, tirant sa force non pas d’une mise en scène tape-à-l’œil recherchant le spectaculaire à tout prix, mais du regard éperdu et nostalgique qu’il porte sur la grandeur de ses maîtres, dans la distance idéale à maintenir par rapport à leur tutelle. Ayant parfaitement saisi la dimension opératique de la saga Star Wars, il construit son épisode comme une variation sur un même thème, d’où la reprise en miroir inversé, souvent incomprise, d’éléments scénaristiques des opus précédents. Rey vit sur une planète semblable à Tatooine, mais elle n’est pas un nouveau Luke Skywalker, sa mentalité casanière s’opposant aux rêves d’émancipation de ce dernier. Une scène tragique héritée de L’Empire contre-attaque par son décor en renverse le sens, passant d’un aveu de paternité à un terrible renoncement de filiation. Quant à la séquence typique de destruction de l’arme ultime de l’ennemi, ici crépusculaire en diable, elle correspond certes au désir cathartique de défaite de l’antagoniste, mais de manière plus viscérale, la menace du Premier Ordre étant représentée avec une cruauté et une barbarie encore inédites dans la saga.

Et c’est bien là que Le Réveil de la Force se démarque de ses prédécesseurs, dans le visage humain qu’il donne ou redonne à leurs icônes. Qu’il s’agisse de Finn, le stromtrooper déserteur, ou de Kylo Ren, le sale gosse colérique du côté obscur, le film tombe les masques, littéralement, amplifiant considérablement notre empathie pour les personnages, quel que soit leur camp. Le scénariste Lawrence Kasdan, après avoir brillamment sacralisé les héros des anciens épisodes, se lance ici dans une entreprise de démythification pour mieux nous les faire redécouvrir, pour mieux réenchanter leur aura dans le cadre d’une intrigue d’héritage. Le Réveil de la Force redonne à Star Wars sa vocation de saga familiale. Loin des développements politiques fumeux et de la volonté de rationalisation quasi scientifique de la prélogie, ce septième volet remet au goût du jour un univers rétro futuriste tangible, vivant et crasseux, replace la Force dans un contexte purement mystique et se recentre sur les personnages, leur progression dramatique et leurs interactions.

Si l'on peut certes lui reprocher quelques facilités et un emploi du virtuel tellement parcimonieux que ses rares utilisations sonnent presque comme une faute de goût (le Suprême Leader Snoke), Le Réveil de la Force se donne à voir comme un modèle de divertissement, rythmé et prenant, un épisode de transition qui s’érige comme la base réussie d’une nouvelle trilogie (attendons la sortie des prochains volets pour vraiment en juger les enjeux), mais surtout comme un objet filmique de pur plaisir, couronné par un morceau de bravoure final dans une forêt enneigée nous offrant le plus beau combat au sabre laser depuis des lustres, et un plan de conclusion muet qui nous bouleverse tout autant que son démiurge en larmes, en nous promettant une suite explosive. Vivement 2017 !

 

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1 décembre 2015 2 01 /12 /décembre /2015 22:46

La première bande-annonce de Spectre, tout en clairs-obscurs et notes éthérées, nous promettait une atmosphère lourde, pleine de tension, chargée de mystères. Des images à la lisière du fantastique qui laissaient présager une plongée dans les méandres goudronneux de la psyché de l’agent 007, dans la continuité incandescente et torturée de Skyfall. Des images qui nous présentaient un espion toujours plus rongé par son passé, en même temps qu’un antagoniste effrayant, sans visage, à la voix vénéneuse. Spectre s’annonçait à la fois comme la suite directe de Skyfall et l’épilogue sépulcral de l’ère Daniel Craig.

Des promesses jamais tenues, sinon en surface, lorsque l’on découvre le film dans son intégralité. Une déception colossale qui s’érige à l’encontre de tous les codes pourtant brillamment réinventés dans Skyfall. Un scénario décousu, criblé de longueurs, de facilités et d’incohérences, dont l’ambition – toute factice – est de confronter Bond au génie du mal Blofeld, ennemi légendaire déjà croisé sous le règne de Sean Connery. Incarné par un Christoph Waltz en mode automatique, Blofeld dirige une organisation criminelle planétaire qui se révèle être à l’origine de tous les malheurs de l’agent secret depuis Casino Royale. Argument scénaristique dont la vanité n’a d’égale que sa tardive artificialité. Le Chiffre, Mr White, Dominic Greene, Raoul Silva, tous les adversaires de Bond étaient liés au Spectre, à ceci près que cette connexion n’est montrée dans le film que par un jeu de photos sur l’ordinateur de Q et dans une scène finale improbable, digne d’un épisode de la saga Saw, exhibant les portraits des vilains dans des cages de verre. Quid d’un flash-back réunissant en chair et en os Mads Mikkelsen, Mathieu Amalric, Javier Bardem et Christoph Waltz pour révéler les coulisses troublantes d’un plan machiavélique ? Il n’en est rien. La faute à une intrigue famélique, paresseuse, sous-exploitée, véritable catalogue de clichés du film d’action de série B sacrifiant la construction de ses personnages et de ses enjeux (les mêmes que ceux du bordélique Terminator Genisys) sur l’autel d’un conformisme formel de tous les instants.

On rêvait d’une femme fatale iconique incarnée par la sublime Monica Bellucci. Spectre la relègue au rang de personnage anecdotique dont la présence à l’écran ne dépasse pas cinq minutes. On rêvait d’un affrontement titanesque entre James Bond et sa némésis. Spectre expédie leur confrontation à travers une séance de torture maniérée et une explosion gigantesque, dont Blofeld réchappe, on ne sait comment, avec seulement un œil balafré. On rêvait d’un générique tutoyant la noire flamboyance, la puissance nonchalante de celui de Skyfall. Spectre nous balance à la figure une compilation d’images numériques hideuses, nimbées d’un kitsch publicitaire et affublées des minauderies périssables de Sam Smith. C’est à peine si l’on retiendra la maestria visuelle d’un plan séquence inaugural dans les rues de Mexico, la sèche brutalité d’un combat à mains nues dans un train contre un sbire marmoréen ou la majesté sporadique de la photographie signée Hoyte Van Hoytema (Interstellar). Si l’on rêvait d’une péroraison phénoménale à l’arc narratif amorcé il y a presque dix ans par Casino Royale, Spectre ne nous donne à voir qu’un film d’action standardisé, banal et bancal, bavard et longuet, sagement divertissant, le fantôme harassé du grand finale qu’il promettait d’être.

 

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3 novembre 2015 2 03 /11 /novembre /2015 22:39

 
Mad Max : Fury Road. Rarement un film aura aussi bien porté son titre. Un ouragan de péripéties propulsées sur une route semée de folie et de fureur. George Miller, déjà auteur des trois premiers opus consacrés au célèbre road warrior, nous offre le grand film d’action qu’on n’osait plus espérer depuis la sortie de l’audacieux Matrix.
 
Bourré jusqu’à la gueule de séquences de poursuites dantesques, d’une générosité graphique hallucinante, doté d’un sens du cadre grandiose, monté avec une énergie et une précision inouïes, transcendé par une bande originale d’un lyrisme barbare, Mad Max : Fury Road redonne ses lettres de noblesse à un genre que l’on croyait perdu, enterré sous le formatage pudibond des blockbusters actuels. Habité par une rage de filmer hors du commun et une foi de conteur inébranlable, George Miller propose ni plus ni moins un nouveau modèle, une synthèse explosive et jubilatoire de film d’aventure, forgé à la fois dans un respect de l’art cinématographique à l’ancienne (cascades épiques plus vraies que nature, découpage lisible de l’action) et dans l’usage intelligent des moyens les plus récents (tableaux cataclysmiques saisissants de réalisme).
 
Mais si le film tout entier se donne à voir comme un morceau de bravoure quasiment ininterrompu, force est de constater – face à l’émotion presque paradoxale qui en émane – que son intrigue ne sacrifie jamais sa portée mythologique, universelle, sur l’autel du tape-à-l’œil gratuit particulièrement prisé par l’industrie hollywoodienne. Construit sur une ligne simple et claire, à l’image de la route irrésistible qu’empruntent les personnages, le scénario de Fury Road porte en lui les codes du récit initiatique inhérent au genre de l’aventure, à travers une grammaire exclusivement visuelle. La poursuite, véritable moteur dramatique du film, emblématise le parcours de chaque personnage sur le sentier de sa destinée. Nul besoin de dialogues paraphrastiques, nul besoin d’explicitation scolaire des enjeux, tout se bâtit dans l’action, dans l’urgence dramaturgique des plans.
 
Le jeu permanent, dans le cadre, sur l’horizontalité des lignes de fuite (renforcé par l’emploi virtuose du format 2.35) et le fantasme de verticalité des héros (rêve d’un monde meilleur, regards vers le ciel), permet une lecture hautement symbolique de l’intrigue, où la bataille fait rage entre l’immanence subie d’un univers post-apocalyptique plombé, et un désir de transcendance commun aux protagonistes et à leurs adversaires. Si l’on s’identifie aisément à Max et à son alter ego féminin Furiosa dans leur tentative d’évasion pour une terre promise, quelle est cette étrange empathie que l’on ressent à l’égard de leur antagoniste, Immortan Joe ? Sous son masque de mort et l’aspect monstrueux de son corps de mutant, n’aspire-t-il pas, lui aussi, à une forme perdue de pureté dans son désir obsessionnel d’enfanter un être normalement constitué ? Au fond, c’est la (recon)quête de leur humanité enfuie, un rêve désespéré de rédemption, de retour aux origines, qui anime les personnages. Périple hanté de bruits et de fureur sur les routes d’un monde chaotique, gangréné par un excès morbide de virilité, s’achevant sur la redécouverte – d’une évidence bouleversante – de la source de toute vie, en plaçant littéralement ses héroïnes sur un piédestal, Mad Mad : Fury Road est un opéra furibond, un hymne déchaîné à la féminité.
 
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16 octobre 2015 5 16 /10 /octobre /2015 16:34

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À l’heure où les images virtuelles règnent en maîtres sur une industrie cinématographique en perte constante d’ambition artistique et de créativité, seuls quelques réfractaires osent encore s’opposer à l’empire de la virtualité en œuvrant à la survie d’un cinéma traditionnel, à l’ancienne, où l’intrigue et ses personnages prévalent sur la vanité tape-à-l’œil de la surenchère spectaculaire. Si Christopher Nolan s’impose actuellement comme la figure de proue de ce mouvement de résistance, adepte du tournage sur pellicule et des effets spéciaux mécaniques, un retour éclairé sur les années 80, la décennie où le cinéma populaire a basculé définitivement dans un système commercial basé sur l’outrance technologique, permet de mettre en lumière les premiers signes de cette résistance, étroitement liée à la peur fascinée de la machine. Une peur exorcisée de manière évidente à travers le genre de la science-fiction, de la traque des androïdes de Blade Runner (1982) à la figure du policier cybernétique de Robocop (1987). Si Ridley Scott exprime cette peur en mêlant la science-fiction au genre du film noir, et Paul Verhoeven à celui du film de justicier, un réalisateur débutant (appelé à devenir le pape de l’action à Hollywood) s’invite dans le débat futuriste en balançant sans crier gare sur les écrans un cocktail explosif de science-fiction, d’action et d’horreur survivaliste, qui deviendra un objet de culte pour les cinéphiles de tous bords. Le jeune homme s’appelle John McTiernan. Son film : Predator.
 
Succès foudroyant au box-office en 1987 (98 millions de dollars récoltés pour un budget de seulement 15 millions), Predator reste gravé dans l’inconscient des spectateurs comme un film d’action majeur dans la carrière musclée d’Arnold Schwarzenegger, où un groupe de militaires se fait décimer méthodiquement dans une jungle oppressante par une créature venue de l’espace. Si le film n’a pas volé sa réputation de modèle du genre, tant il abonde en scènes d’action fracassantes ou en tensions liées à son décor de huis clos forestier, en célèbres répliques percutantes (« S’il saigne, on peut le tuer », « On n’a pas le droit de faire ça à un homme », « T’as pas une gueule de porte bonheur ») et en mises à mort spectaculaires, force est de constater que c’est ironiquement cette réputation qui peut le réduire aujourd’hui à un bon film bourrin où se mettent sur la tronche Schwarzy et un alien belliqueux en plastique. Or, au-delà de ce statut (trop) évident, Predator vient s’inscrire légitimement dans la problématique futuriste qui hante les années 80, cette peur viscérale face à une technologie qui dépasse l’humain, face à un progrès monstrueux dans la mesure où il échappe à tout contrôle. Pour peu qu’on se donne la peine de déceler les symboles derrière les fusillades, les indices tapis dans les profondeurs effrayantes de sa jungle mortifère, Predator transcende littéralement le vernis de son genre et de sa violence intrinsèque.
 
Réalisateur débutant en 1987, on imagine un jeune McTiernan tenu de respecter le cahier des charges imposé par son distributeur (la 20th Century Fox) et son producteur Joel Silver, à savoir celui d’un blockbuster estival destiné à s’imposer au box-office. Une contrainte que respectera le cinéaste en proposant un modèle d’efficacité. Un prologue aussi court que mystérieux montrant un vaisseau pénétrer l’atmosphère terrestre, des protagonistes caractérisés et des enjeux posés lisiblement en seulement 10 minutes (un groupe de militaires doit sauver un ministre disparu en pleine jungle, mais va se retrouver traqué et décimé par un prédateur invisible), une construction en trois actes distincts (introduction, extermination du groupe, duel final) rythmée par une montée en puissance de l’action et de la tension liée à la créature antagoniste, une utilisation exemplaire de la suggestion (vue subjective thermique de l’alien, plans courts et parcellaires lorsqu’il faut le montrer) et une bande-originale tour à tour épique et angoissante signée Alan Silvestri. Avec en prime Arnold Schwarzenegger en tête d’affiche (déjà connu pour ses rôles iconiques dans Conan le Barbare et Terminator) et des ingrédients de science-fiction (un genre convoité par les studios depuis le triomphe de Star Wars), Predator se donne à voir dans un premier temps comme le parfait prototype du film d’action américain, du blockbuster dopé à la testostérone.
 

 
Néanmoins, lorsque l’on scrute le film au-delà de son épiderme de grosse production virile, on décèle dans Predator une volonté manifeste, de la part de son réalisateur, de contourner les codes du genre pour proposer au spectateur autre chose qu’une simple fresque guerrière. Si la jungle apparaît d’abord comme le théâtre d’affrontements brutaux et de fusillades sanglantes (massacre d’un camp de mercenaires, élimination des frères d’armes du Major Dutch – incarné par Schwarzenegger), force est de constater que cette débauche de violence est toujours vaine, ne résout jamais rien. Chaque scène d’action, aussi spectaculaire soit-elle, se solde par un échec cuisant. À l’image de cette séquence d’anthologie où Dutch et ses hommes, ayant enfin repéré la créature qui les traque, ouvrent le feu dans un déluge de balles apocalyptique… en vain ! (« Y a rien, pas le cul d’une trace. Pas de sang, pas de mort. On n’a rien touché. ») Une démonstration pyrotechnique délirante mais totalement impuissante. McTiernan retourne un code jusque-là immuable du film d’action contre lui-même, en filmant une fusillade inutile. L’arsenal des armes lourdes est inefficace ? Le scénario s’engage alors dans une approche furtive, Dutch et ses hommes bricolant une série de pièges de boyscouts pour tenter de capturer l’alien (séquence filmée à la manière d’un training montage, très populaire dans les années 80). Même échec. Même impuissance face à la bête.
 
La mécanique d’ordinaire bien huilée de l’action se grippe, il y a quelque chose de pourri au royaume du muscle et des guns. Une perversion des codes que Predator emblématise à travers le personnage de Dillon (incarné par Carl Weathers), l’organisateur de la mission. Lorsque les morts s’accumulent, sa confrontation avec Dutch prend des allures de discours métatextuel sur la fabrication même du film, comme un dialogue à double fond entre le producteur de blockbuster et son metteur en scène : « Et tu nous as expédiés tous les six au massacre avec un roman à la con. Je vois que tu as bien changé, Dillon. Jusqu’ici j’avais confiance en toi. / Je me suis réveillé. Fais-en autant. Dutch, tu es utile comme un outil qu’on peut jeter après usage. Alors j’ai utilisé cet outil au mieux de nos intérêts. / J’suis pas un outil qu’on met à la ferraille. Et je déteste ce genre de boulot. » Comme s’il pressentait déjà la désincarnation galopante des blockbusters d’action, McTiernan s’amuse à en parasiter les codes, à la manière d’une mise en abyme, une réflexion sur le genre à l’intérieur même de son film ; méthode qu’il maniera jusqu’à la parodie dans Last Action Hero quelques années plus tard.
 

 
Mais ce n’est pas à une condamnation du genre de l’action qu’aboutit la déconstruction de ses codes dans Predator. Au contraire, McTiernan y opère une régénération, une modernisation du genre qui permettra à son film de perdurer et à la fresque guerrière d’entrer dans une ère nouvelle, à visage humain (comme il le confirmera avec le personnage antihéroïque de John McClane incarné par Bruce Willis dans la saga Die Hard). Le réalisateur fait tomber les icones de l’action de leur piédestal pour mieux les humaniser. Visionné sous cet angle, Predator se révèle être un survival à la gloire de l’homme naturel. Dans le décor faussement édénique d’une jungle menaçante et face à la menace d’un monstre technologique (l’alien, bardé de gadgets élaborés, incarne la peur de la robotique), c’est à une renaissance de la figure du héros que nous assistons. Le troisième et dernier acte du film, le face à face entre Dutch et la créature de l’espace, porte à lui seul toute la charge symbolique de l’intrigue. Ses hommes ayant tous été massacrés par la bête, Dutch tente de lui échapper par tous les moyens. Dans sa fuite, il dégringole le long d’une pente avant de tomber du haut d’une gigantesque cascade. Chute du héros, au sens littéral comme au figuré, qui le mène sur un rivage boueux, où le monstre finit par le rattraper, mais étrangement, en le perdant de vue. Dutch comprend vite que la boue agit comme un écran entre son corps et la vision thermique de la créature, tandis que celle-ci perd son précieux camouflage optique au simple contact de l’eau. Inversion élémentale du rapport de force. Retour aux sources salvateur. Le héros doit entrer en communion avec la terre (natale) pour survivre à son prédateur, au démon technologique. Embrassant un niveau de lecture purement symbolique, le dernier acte de Predator – quasiment sans paroles – opère en même temps qu’un renversement dramatique (le chasseur devient le chassé et vice versa), un retour aux origines, à l’essence même du cinéma. Littéralement, en revenant à des trucages tangibles, lorsque le monstre tombe le masque pour révéler un hideux faciès porcin à mandibules (effet saisissant de maquillage et d’animatronique) et figurativement en installant son dénouement dans un décor primitif, originel, et en poussant son héros à exploiter ses propres ressources, tel un nouvel homme préhistorique. Dutch viendra à bout des oripeaux technologiques de son adversaire au terme d’un véritable affrontement à mains nues à l’issue duquel le prédateur finit écrasé par un énorme tronc d’arbre. Autrement dit, c’est la nature qui l’emporte sur le progrès artificiel. Les forces telluriques triomphent d’une technicité devenue monstrueuse.
 
Ainsi, c’est un véritable manifeste pour le cinéma à l’ancienne que nous propose McTiernan, face à la montée en puissance des blockbusters misant tout sur leurs effets spéciaux. S’il adopte en apparence la structure et les codes commerciaux de ces nouvelles machines taillées seulement pour le succès en salles, c’est pour mieux les dynamiter de l’intérieur (l’image presque finale du prédateur agonisant qui s’autodétruit dans une explosion nucléaire n’est pas innocente). Predator règle ses comptes avec un cinéma superficiel perdant de vue la qualité du scénario et la caractérisation, l’iconisation de ses personnages, pour s’imposer comme un classique à la fois du film d’action, du survival et de la science-fiction. Au terme d’une décennie technologique qui n’aura cessé de glorifier la toute-puissance du matérialisme, Predator fait le pari gagnant du retour à un art visuel tourné vers l’essentiel, vers la naturalité, en réaffirmant, envers et contre la mécanisation croissante des esprits, une foi inébranlable en l’homme. Plus qu’un simple actioner bourrin opposant Schwarzenegger à un alien en plastique, Predator est un film humaniste.
 
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8 février 2015 7 08 /02 /février /2015 03:09

under the skin 01

 
Au commencement, l'informe. Au commencement, les ténèbres. Puis vient la lumière. Halo vibrant, étincelant, irradiant. Puis vient la voix. Féminine. Balbutiante, hésitante, tatônnante. Incantation, gestation précaire de morphèmes babillants. Les phonèmes se muent en mots, le halo en œil. L'œil d'une femme qui vient de naître, d'éclore dans l'espace de l'écran, espace d'un blanc infini, aveuglant. Nue, elle dépouille le corps inerte d'une inconnue de ses vêtements pour s'en habiller, comme d'une seconde peau de tissu. Vision fascinante, érotisme troublant, quasi clinique, d'une mue inversée, paradoxale.
 
Dès son ouverture en forme de génèse, Under the skin nous propose l'exploration épidermique, viscérale et hypnotique du contact des corps, du point de vue d'une étrange créature extraterrestre, incarnée par une Scarlett Johansson stupéfiante de détachement. Auscultation de la violence des rapports entre les corps, à travers une intrigue de chasse où la créature traque des hommes solitaires pour les attirer dans les eaux noires, insondables, de son terrifiant repaire. Engloutis par ce décor liquide de cauchemar tranquille, les corps masculins finissent par imploser, vidés de toute leur substance. Vision d'horreur de leur peau, amas d'épiderme creux, rabougri, trophée macabre improbable flottant dans le néant.
 
Lancée dans une quête obsédée de la nature humaine, cherchant in fine à s'humaniser au contact des terriens, la créature semble vouer un véritable culte au pouvoir érotique de la peau, fascinée à la fois par celle des hommes et par son propre épiderme. Longs plans tétanisants où elle scrute sa nudité dans des miroirs, dans toutes sortes de surfaces réfléchissantes, comme tentant d'élucider par la contemplation le mystère du corps, de l'image du corps. Attraction morbide et poétique de la caméra et, par corollaire, de notre œil de spectateur, pour le corps mis à nu de Scarlett Johansson. De la pulsion scopique, irrépressible, à la quête identitaire, il n'y a qu'un pas, que le cinéaste n'hésite jamais à franchir, dans un brillant élan expérimental, jusqu'à une séquence finale hallucinante et poignante, touchant au merveilleux au-delà du sordide et à la pure métaphysique, qui illustre de façon littérale le titre même du film.
 
Expérience sensorielle quasiment dépourvue de dialogues, laissant s'exprimer la toute puissance graphique et symbolique de l'image, Under the skin se donne à voir comme une quête initiatique, une fable visuelle, un conte étrange, envoûtant et terrible sur la nature humaine. Une leçon de cinéma viscérale, rigoureusement rugueuse, magnifiquement malsaine, qui laisse l'œil sidéré et l'esprit hanté par un océan déchaîné d'interrogations.
 

4,5sur5

 

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30 janvier 2015 5 30 /01 /janvier /2015 01:33

belles de nuit

Les Belles de nuit, de René Clair. Avec l'immense Gérard Philipe. Ou le portrait halluciné et hallucinant d'un jeune musicien trouvant un refuge contre la tristesse du monde dans l'univers des rêves, jusqu'à ce que le cauchemar de la réalité vienne fatalement s'y immiscer. Œuvre méconnue du cinéma français des années 1950, d'une modernité et d'une inventivité folles. On croirait voir les germes de tout un pan du cinéma de l'imaginaire (de Jean-Pierre Jeunet à Terry Gilliam en passant par Michel Gondry et même Inception de Christopher Nolan). Transitions graphiques entre rêve et réalité, changements fulgurants de décors, décadrages et recadrages saisissants, spirale temporelle où toutes les époques fusionnent jusqu'à un morceau de bravoure final d'anthologie où le héros traverse littéralement les âges à toute vitesse au volant d'une voiture. René Clair inventait le temps d'un film un genre de comédie musicale onirique. Enthousiasmant et jubilatoire de bout en bout, une pépite du 7ème Art à redécouvrir d'urgence. D'autant plus que le récent bluray édité par Gaumont est d'une splendeur irréelle !


gone girl

Gone Girl. Casting au top, montage minutieux, scénario malin, bande-originale envoûtante, photographie somptueuse, rythme idéal alternant tensions et explosions de violence, polyphonie narrative... Le nouveau Fincher avait tout pour atteindre des sommets de cinéma. L'objet se révèle cependant tellement maîtrisé dans sa forme qu'elle en devient presque écrasante, ne laissant quasiment aucun espace d'interprétation à son spectateur. Ce qui aurait pu être une déchirante tragédie relationnelle finit par se déliter dans un formalisme qui n'a d'autre obsession que lui-même. Trop calculateur, le film atteint parfois des sommets de froideur et de désincarnation qui viennent un peu gâcher le plaisir d'une intrigue pourtant aussi effrayante que ludique dans sa vision cynique jusqu'au délire du couple marié. Épatante performance de Rosamund Pike, qui nous rappelle avec délice la vénéneuse Sharon Stone de Basic Instinct et Total Recall.


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28 janvier 2015 3 28 /01 /janvier /2015 02:14

nymphomaniac 2

Plus sombre, plus tourmenté, plus violent que le précédent volet, Nymphomaniac : Volume II adopte la forme d'une spirale autodestructrice, autant sur le plan diégétique (lente descente aux enfers de l'héroïne) qu'extradiégétique, dans la mesure où le film retourne un à un ses propres codes pour mieux nous désemparer. Mélange virtuose de tons contraires. On passe de l'horreur frontale et clinique (atroce scène d'auto avortement) au comique le plus farcesque (un ménage à trois infructueux). Une émotion inattendue parvient même à sourdre des interstices tragiques de l'intrigue, à travers la recherche désespérée d'une tendresse quasi inatteignable, liée à une paternité / maternité malade, toujours estropiée. Une tendresse impossible. Une promesse de fraternité tragiquement utopique, comme en témoigne le twist glaçant des derniers plans, révélateur de la nature profonde de l'être humain. Le récit de la nymphomane du titre, qui s'annonçait comme libérateur, prend l'allure douloureuse d'une expérience cathartique fracassée. L'horizon rédempteur qu'elle visait plus ou moins consciemment devient brutalement ténèbres. Littéralement. Écran noir final tétanisant, d'où n'émanent que les sons terrifiants de notre fuite perpétuelle, les yeux grand fermés, face à la mort.


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