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25 septembre 2011 7 25 /09 /septembre /2011 20:01

apollonide

« La chair est triste, hélas ! et j'ai lu tous les livres. / Fuir ! là-bas fuir ! » L'Apollonide de Bertrand Bonello pourrait être l'illustration parfaite des premiers vers de Brise marine, de Mallarmé. Splendeurs maladives et misères tragiques d'une maison close sur le déclin, à l'aube du XXème siècle. Nul horizon de liberté. La chair est triste. D'une tristesse infinie. D'une tristesse infiniment belle. L'Apollonide est un beau film, d'une splendeur perpétuelle, mais toujours douloureuse, toujours trompeuse. La beauté des images, loin d'offrir une quelconque évasion pour les yeux, se fait l'esclave d'une esthétique de l'enfermement. Fuir le bordel est un fantasme, le plus inconcevable de tous les désirs dans un univers où le désir est pourtant maître. Huis clos aussi oppressant qu'hypnotique, peuplé d’icônes féminines ensorcelantes, L'Apollonide dépasse d'emblée l'enjeu a priori documentaire de son scénario (montrer le quotidien d'une maison close) en empruntant dès sa première scène la voie d'un onirisme morbide. Grain volontaire, lumière éthérée, mouvements de caméra langoureux, couleurs envoûtantes, musique planante... Le cinéaste nous entraîne dans un rêve sombre et troublant.

Rêve de chair et de désirs, songe de mort, L'Apollonide se donne à voir comme un ballet de corps sublimes, d'une sensualité à la fois irrésistible et sordide. Paradoxe fascinant d'un film se déroulant dans un temple de la luxure sans jamais verser dans la vulgarité. Prêtant leurs corps et leurs caractères au raffinement d'une prostitution révolue, les actrices, magnifiques, se révèlent désarmantes de naturel, incarnant à la perfection la dualité qui habite la maison close : confrontation du jeu calculé, du spectacle du désir, et d'une coulisse où tombent les masques. C'est dans cette coulisse que L'Apollonide touche à la fois le sublime et ses limites : si l'agonie, mentale ou physique, de certaines filles parvient à nous toucher (maladies, mutilation, désespoir), la longueur effarante du dénouement et la froideur de la mise en scène nous écartent parfois de l'intrigue, nous laissent seuls sur le seuil du sérail. Mais Bertrand Bonello évite habilement la coquille vide grâce à l'intensité viscérale du jeu de ses actrices (direction admirable de tout le casting) et une poésie sordide, aux images osées, hautement troublantes. Quant au plan final, d'une laideur incommensurable mais assumée, il relance encore une fois le débat sur le statut de la prostitution en posant une question : et si c'était mieux avant ? Une seule certitude : la vision ambiguë que propose Bonello met ultimement en évidence l'étroite correspondance du sexe tarifé et de l'esprit d'une époque. Vision résolument pessimiste opposant le raffinement culturel du XXème siècle naissant et la vulgarité effrayante des mœurs de notre temps. Le plaisir contre la consommation. Glaçante amertume d'une belle fresque à l'entêtant parfum de mort.

3,5sur5

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16 septembre 2011 5 16 /09 /septembre /2011 09:29

warrior

Certes, Warrior ressemble beaucoup à Fighter, sorti également cette année, au Wrestler d’Aronofsky, ou même à Rocky Balboa. Certes, les grandes lignes du scénario s’engagent dans des sentiers maintes fois battus, de la séquence d’entraînement aux combats acharnés sur le ring. Mais cela n’empêche pourtant pas le film de Gavin O’Connor d’embarquer son spectateur dans une fresque sportive aussi efficace qu’émouvante. Peut-être parce que le réalisateur relègue justement la dimension sportive au second plan pour s’attacher – à l’instar de Fighter – à l’humain, au sens « guerrier » du terme, comme l’annonce son titre. Comme Fighter, il s’agit avant tout d’un drame familial, brossant le portrait de deux frères, mais contrairement à son prédécesseur, Warrior met en scène un affrontement fraternel, presque fratricide, inscrivant ainsi symboliquement son intrigue dans une sphère mythologique.

Si la confrontation entre Tom Hardy (effrayant, monolithique, impénétrable) et Joel Edgerton (attachant, sympathique) évoque évidemment les grandes rivalités fraternelles de nos mythologies (Caïn et Abel, Etéocle et Polynice, Seth et Horus…), elle est avant tout le moteur d’un crescendo dramatique aussi implacable que puissant, ponctué de scènes de combats âpres et intenses. Si, dans la coulisse, la tension monte sans cesse entre les deux frères ennemis, alimentée par la haine commune envers un père irresponsable (Nick Nolte, jouant avec brio un paternel pathétique), c’est sur le ring que le drame familial se dénoue progressivement. Atteignant souvent des sommets de lyrisme brut, transcendés par le score de Mark Isham, les combats dans Warrior prennent littéralement aux tripes. Menée par un trio d’acteurs inspirés, la « guerre des trois » a bien lieu, déchirement entre deux frères, mais surtout entre un père paumé et ses fils déboussolés. Au-delà des combats physiques, chacun se bat pour une cause intime : le père contre lui-même, contre une image qu’il déteste et qu’il tente d’oublier, les deux fils pour laver leur honneur, le premier tentant de sauver sa famille d’un naufrage imminent, l’autre cherchant à enterrer un passé militaire traumatisant. Gavin O’Connor met en scène une lutte acharnée pour la survie, une quête du salut qui s’approprie tous les clichés du film de sport pour les dépasser, à travers l’accomplissement, la réunion de trois destins. Et c’est cet art du dépassement qui rend Warrior si efficace et attachant, cristallisé dans une image finale suspendue, aussi magnifique que poignante. Complément fraternel de Fighter, hommage touchant à Rocky, certainement l’un des plus beaux films du genre, simple et sincère.

4sur5

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11 septembre 2011 7 11 /09 /septembre /2011 19:20

triangle smith

Il y a quelque chose de pourri au royaume de la distribution cinématographique française. Alors que l'on nous sert allègrement sur grand écran d'immondes plats sans saveur, tels que les navets de Dominic Sena (Whiteout, Le Dernier des Templiers) ou le plus récent Colombiana, dont l'ambition audio visuelle ne dépasse pas celle d'un médiocre téléfilm du vendredi soir, les distributeurs français font désormais trop souvent l'impasse sur de petits miracles de cinéma, qu'on aimerait pouvoir déguster à leur juste mesure, c'est-à-dire dans nos chères salles obscures, mais qu'on ne peut malheureusement découvrir qu'en vidéo. Comme de trop nombreux films passés sous silence, Triangle, de Christopher Smith, est sorti chez nous le 14 juin dernier, directement en DVD et Blu-Ray. Une honte absolue, car il s'agit d'un véritable bijou d'écriture, doublé d'une leçon magistrale de mise en scène. Un modèle de cinéma fantastique.

Maîtrisé du premier au dernier plan, Triangle suit les mésaventures d'un groupe de naufragés trouvant refuge à bord d'un paquebot fantôme, qui devient bien vite le théâtre terrifiant d'un long cauchemar défiant les lois de la réalité. Construit sur le principe vertigineux du miroir dans le miroir, comme l'annonce l'affiche symétrique du film, le scénario tout entier, modèle d'efficacité dramatique, est une spirale vicieuse, qui happe le spectateur pour ne plus le lâcher. Prisonniers d'un tourbillon d'horreur, les personnages nous entraînent au plus profond de leurs peurs. Plus particulièrement la protagoniste, incarnée par la fébrile Melissa George, désarmante en mère brisée, hantée jusqu'à la folie par le remord et la culpabilité. Elle porte sur ses épaules tremblantes le principe même du film, terriblement déstabilisant, à savoir celui du miroir, débouchant subtilement sur une réflexion autour de la notion d'image. Image de soi, images des autres, images du réel, du monde, de la conscience ou de l'inconscience.

Forgé dans une matière picturale aussi simple que puissante, Triangle marque ainsi un retour aux sources franchement salvateur, le retour à un cinéma pur, viscéral, aussi passionnant que passionné. Christopher Smith, cinéaste honteusement sous-estimé, nous fait partager son univers résolument visuel avec une énergie et une générosité formidables, galvanisé par la seule notion de plaisir. Plaisir d'une intrigue pétrie de mystères, où l'on aime venir perdre ses repères, plaisir d'une facture audio visuelle qui se venge de son manque de moyens par une inventivité et une audace réjouissantes, plaisir d'un jeu de massacre où les apparences sont toujours trompeuses, plaisir de se faire manipuler, de se faire mener en bateau. Mais plaisir troublé, fissuré, grinçant, à travers l'image que le film renvoie de nous-mêmes, dans son exploration des instincts contrariés, face à une situation extrême. Conte fantastique aux frontières de l'apologue, couronné par un twist effrayant, Triangle est une perle rare du cinéma de genre, en même temps qu'un objet de fascination, un maelström d'images hantées qui ne souffrira aucunement de multiples visions, bien au contraire !

4,5sur5

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31 août 2011 3 31 /08 /août /2011 04:08

Blade Runner Pris Deckard

« C'est un univers morne à l'horizon plombé, / Où nagent dans la nuit l'horreur et le blasphème. » Le premier plan de Blade Runner, révélation spectaculaire d'un paysage urbain de cauchemar, métropole tentaculaire, enténébrée, cracheuse de feu et de brumes toxiques, pourrait bien être la parfaite illustration de ces vers baudelairiens. Le malaise pétrifiant, provoqué dès l'ouverture du film, se déploie lentement, au gré d'une intrigue policière qui n'en a que les oripeaux les plus élémentaires, qui s'affranchit à la fois du polar et des codes de la science-fiction, pour atteindre l'humaine mélancolie.

Considéré à tort comme un divertissement de surface, une bande-dessinée sans âme ne reposant que sur la splendeur de ses décors, ou, au contraire, comme une œuvre philosophique réinterrogeant le cogito cartésien, Blade Runner suit sa voie propre. C'est un poème visuel, contemplatif, dont l'émotion réside dans la seule puissance évocatrice des images. Pour beaucoup Ridley Scott n'est qu'un habile faiseur (ce qu'il a pu être, parfois, par la suite : Traquée, Black Rain, Lame de fond...), mais il serait injuste de ne pas lui reconnaître un statut d'auteur, d'artiste à part entière, de cinéaste majeur, face à la grandeur des images de Blade Runner, Alien, Gladiator, mais aussi des sous-estimés Legend (qui regorge de tableaux parmi les plus beaux du cinéma fantastique), Thelma & Louise, Kingdom of Heaven ou encore 1492 : Christophe Colomb.

La force de Blade Runner réside avant tout dans sa mise en images, proprement mythologique, de trajectoires « humaines » croisées. Le détective Rick Deckard (Harrison Ford) traque et élimine des Répliquants, un groupe d'androïdes revenus illégalement sur Terre dans l'espoir de se voir offrir une vie plus longue que les quatre années d'existence auxquelles ils sont condamnés. Commençant comme un film noir dans un décor de science-fiction, Blade Runner parvient à s'affranchir de ces deux carcans, dans un mouvement d'errance magnifique. Deckard finit par s'égarer lui-même dans les méandres d'une quête qu'il maîtrise de moins en moins. Au contact des Répliquants, c'est de sa propre humanité qu'il se met à douter, allant jusqu'à se demander s'il ne serait pas, lui aussi, un androïde. Sa trajectoire épouse alors celle des Répliquants, à la manière d'un miroir inversé. Le détective humain questionne sa propre nature, tandis que ses proies, refusant d'être de simples robots, se laissent hanter par nos désirs et nos peurs les plus primaires.

Blade Runner est en effet un film hanté, angoissé par la terreur la plus universelle : celle de la mort. C'est sur cette terreur que se construit le scénario tout entier, succession cauchemardesque et douloureuse de mises à mort, traversée par les convulsions d'un instinct de survie parfois animal. C'est cette même terreur qui fait (inter)agir les personnages. Le meneur des Répliquants, Roy Batty, incarné par le fébrile Rutger Hauer, apparaît ainsi comme la figure la plus angoissée de toutes. D'abord effrayé à l'idée de perdre ses frères androïdes et de mourir à son tour, il tue sans relâche tous ceux qui lui ont donné la vie, cette vie absurdement courte à laquelle il ne peut se résoudre. Jusqu'au bouleversant retournement final, certainement l'oraison la plus poignante du cinéma de science-fiction, car elle semble dépasser le seul cadre de l'intrigue pour annoncer, par son statut d'œuvre artistique totale, la mort d'un genre. Depuis la sortie de Blade Runner, en 1982, combien de films futuristes peuvent se targuer d'avoir atteint sa grandeur ?

5sur5

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29 août 2011 1 29 /08 /août /2011 02:39

Beginners, de Mike Mills (15 juin 2011) : Une belle tranche de vie, à la fois simple, poignante et drôle, dotée d'un casting magnifique (Christopher Plummer, Ewan McGregor, Mélanie Laurent...). Si l'on excepte quelques longueurs, l'ensemble se révèle d'une légèreté entraînante, entêtante, reposant avant tout sur la présence d'un Christopher Plummer plus pétillant que jamais en septuagénaire assumant enfin son homosexualité. Un divertissement simple et rafraîchissant, qui donne le sourire à son spectateur. Ma note : 3,5/5.

beginners

Green Lantern, de Martin Campbell (10 août 2011) : Même si la catastrophe n'est pas totale (une ou deux idées sympathiques), le scénario est aussi subtil qu'une page d'histoire tirée d'un manuel scolaire, les personnages totalement inconsistants (on a bien du mal à s'y identifier), sans compter une laideur visuelle affligeante et un humour lourdingue insupportable. On a plus affaire au Martin Campbell de l'atterrant Vertical Limit qu'à celui des surprenants Goldeneye et Casino Royale. Espérons qu'il ne s'agit pour lui que d'une parenthèse alimentaire avant son prochain bon film... Ma note : 1,5/5.

La Planète des singes : les origines, de Rupert Wyatt (10 août) : Assurément l'un des blockbusters les plus aboutis de l'année, doté d'un scénario solide, jamais étouffé par ses effets spéciaux (ahurissants), pourtant omniprésents. Le crescendo dramatique, qui porte le film de bout en bout, nous captive constamment, porté par l'interprétation touchante de John Lithgow, dans le rôle d'un vieil homme frappé par Alzheimer, et d'Andy Serkis, derrière le faciès simiesque de César, le primate qui libérera les siens dans la fureur et le sang. Intelligemment spectaculaire, le film s'inscrit dans la parfaite lignée de l'original de 1968, dans la mesure où il lui offre une genèse crédible et proprement excitante. Une très bonne surprise : 4/5.

la planete des singes les origines

Comment tuer son boss ?, de Seth Gordon (17 août 2011) : Une comédie pas toujours très subtile dans son brassage de clichés gros comme des maisons et dans la prévisibilité de son intrigue, mais des instants de franche rigolade qui la font sans hésiter basculer du côté des « guilty pleasures ». Le trio de protagonistes, ainsi que leurs patrons respectifs, s'avèrent plutôt savoureux. Une comédie bien plus réussie que les décevants Bad Teacher et Very Bad Trip 2. Ma note : 3/5.

Conan, de Marcus Nispel (17 août 2011) : Rien à se mettre sous la dent, rien à dire à propos de ce navet honteux, si ce n'est de revoir d'urgence Conan le Barbare de John Milius. Ma note : 0,5/5.

Captain America : First Avenger, de Joe Johnston (17 août 2011) : Une adaptation jubilatoire et savoureuse de l'univers Marvel, magnifiée par une esthétique délicieusement rétro (l'histoire se déroule dans les années 1940), où la figure du super-héros est traitée avec une bonne dose d'ironie bienvenue. L'efficacité des scènes d'action, tout comme l'interprétation inspirée de l'ensemble du casting (Chris Evans moins fade qu'à l'accoutumée, Tommy Lee Jones tordant, Hugo Weaving cabotinant comme jamais), concourent à un spectacle de haute volée, couronné par un finale aussi excitant que troublant. Vivement The Avengers, de Joss Whedon ! Ma note : 3,5/5.

captain-america


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20 août 2011 6 20 /08 /août /2011 17:35

la piel que habito

Pedro Almodóvar poursuit son inexorable exploration des ténèbres de l'âme humaine, qu'il avait initiée dans La Mauvaise éducation. Sillonnant les sentiers glaciaux d'un thriller macabre, La Piel que habito apparaît comme son film le plus sombre, le plus effrayant : un chirurgien esthétique dérangé (Antonio Banderas) s'adonnant à des expériences contre-nature, séquestre une jeune femme pour des raisons troubles. Le récit, construit autour d'un gigantesque flash-back, révèle implacablement le passé de chaque personnage, articule et assemble leurs destinées à travers le sinistre puzzle d'une tragédie. A ceci près que le tragique ne rime jamais ici avec une quelconque catharsis. Ce n'est pas le sang chaud d'un drame latin qui irrigue la dernière mouture d'Almodóvar, mais, contre toute attente, la froideur pétrifiante d'un suspense quasi scientifique. La confusion mentale et sexuelle qui pèse sur l'atmosphère de La Piel que habito se voit disséquée par un regard clinique proprement effrayant, parfois contre-balancé par quelques fragments d'humour noir et un zeste de folie ambiante.

A l'image de Vera, la femme enfermée, observée sous tous les angles à travers une multitude d'écrans, l'ensemble des personnage nous est présenté par Almodóvar comme un groupe de cobayes. Le cinéaste filme leurs comportements comme s'il s'agissait de rats de laboratoire, lesquels, confrontés les uns aux autres, révèlent leurs plus bas instincts. Vision extrêmement pessimiste de l'âme humaine, le film rejoint l'univers d'un Paul Verhoeven, dans la mesure où nos actes, intéressés, cruels ou vengeurs, ne relèvent que d'une pulsion sexuelle animale. L'irruption, assez brève, d'un personnage déguisé en tigre, en est la manifestation la plus crue et la plus évocatrice : le type costumé neutralise sa propre mère (Marisa Paredes) pour aller commettre un assaut sexuel sur Vera. Vision sidérante d'un quadruple viol, au sens propre comme au sens figuré : l'homme pénètre de force la propriété du chirurgien, bafoue la figure maternelle, brise l'entrée du sanctuaire de Vera, avant de l'agresser. Symptôme d'une noirceur plus terrible encore, l'issue de ce multiple viol aura un amer goût de sang.

La morale désespérée du film pourrait bien se résumer ainsi : on ne peut combattre le mal que par un mal encore plus grand. La structure de La Piel que habito épouse à ce titre la forme malade d'un cercle vicieux, filmé comme un huis clos oppressant. Théâtre claustrophobe, où le malsain rivalise avec l'horrible. Mais la force d'Almodóvar, c'est la fascination sans bornes qu'il parvient à nous faire éprouver face au sordide. La facture audio-visuelle de son film, aussi élégante qu'irréprochable, nous hypnotise constamment. Douceur de velours des mouvements de caméra, pureté du montage, splendeur glacée de la photographie... Le spectacle dépasse le dégoût que son contenu pourrait susciter, par la beauté perverse de la forme. La Piel que habito se présente comme un objet obscur de désir cinéphile, encore une fois à l'image de Vera, la femme idéale, belle à se damner. Tout comme elle se laisse caresser par son geôlier-chirurgien, nous laissons les images magnétiques d'Almodóvar nous caresser les mirettes. Dès son titre,le film nous invite littéralement à venir habiter la peau de chacun de ses personnages, dans un jeu de rôles éprouvant, à la fois hors normes et intimiste. Une expérience charnelle extrême et puissante, qui ne finira jamais de nous éclairer, autant que de nous troubler, sur notre propre part d'ombre. Sobresaliente !

4sur5 

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14 août 2011 7 14 /08 /août /2011 16:32

Melancholia - blog

Jusqu'à présent, nous n'avions vécu la fin du monde au cinéma qu'à travers un nombre incalculable de films catastrophe, souvent outrancièrement spectaculaires, presque toujours issus des studios hollywoodiens. De simples divertissements inoffensifs, raisonnablement impressionnants, dont Roland Emmerich, d'Independence Day à 2012, est devenu le grand spécialiste. A l'opposé de ce cinéma tape-à-l'œœil, bruyant et commercial, Lars Von Trier vient asséner un coup de maître avec Melancholia, chef-d'œ’œuvre absolu instantané, aussi sublime que terrifiant, renouvelant avec audace un genre que l'on croyait condamné à l'industrie de l'entertainment pop-corn.

L'intrigue de Melancholia est d'une troublante simplicité : une jeune femme, Justine, se marie avant de sombrer dans une profonde dépression, tandis qu'une planète mystérieuse s'apprête à entrer en collision avec la Terre. Découpé en deux chapitres, le premier épousant le point de vue de Justine (Kirsten Dunst), le deuxième celui de sa sœœur, Claire (Charlotte Gainsbourg), le film s'ouvre sur une succession de tableaux apocalyptiques d'une beauté sidérante, transcendés par le prélude de Tristan et Iseult, composé par Wagner. Dans un surprenant mélange des tons et des genres, la sidération poétique du prologue cède alors la place à un chapitre hautement satirique, relatant presque en temps réel la soirée ratée du mariage de Justine. Avec la même férocité que celle de Dogville, Lars Von Trier nous brosse le portrait grinçant d'une micro-humanité antipathique, composée de requins (le patron de Justine), de mères acariâtres (Charlotte Rampling, formidable en mégère extra-lucide), de pères paumés, et d'arrivistes ridicules, tous coupables de la dépression de Justine et tous aveugles quant à leur part de responsabilité dans la décrépitude de la jeune femme. Une société gangrenée, en phase terminale de sa bêtise, qui fonce tête baissée vers son autodestruction. C'est en quelque sorte à une fin du monde que l'on assiste.

Cette apocalypse de salon nous prépare sournoisement à une deuxième partie qui en est la relecture à la fois intimiste et cosmique : quatre personnages isolés, confrontés à l'approche de la planète Melancholia, qui menace à chaque instant de percuter la Terre. Extraordinaire de tension, d'angoisse et de terreur primaire, ce chapitre adopte le point de vue de Claire, pour nous faire vivre sa peur de manière viscérale, jusque dans ses extrémités. Jouant diaboliquement avec nos nerfs, tel un chat avec une pelote de fil, Lars Von Trier éloigne et rapproche l'astre menaçant, alterne les instants de pure panique et d'accalmie. Il installe dans nos consciences le même inconfort mental qui habite ses personnages, pour enfin nous terrasser, nous anéantir, nous démolir les sens grâce à un plan final démentiel, l'un des plus beaux de toute l'histoire du cinéma, qui se vit littéralement comme une expérience de mort imminente. Une sensation dévastatrice unique, que l'on n'avait encore jamais ressentie face à un écran.

Melancholia - blog 2

En un peu plus de deux heures, Lars Von Trier accouche d'une œœuvre indélébile, d'une simplicité universelle bouleversante, une œœuvre d'art à la poésie ravageuse, le plus beau et le plus intense des films apocalyptiques. Conscient que les plans larges spectaculaires des blockbusters ne font qu'effleurer l'horreur des catastrophes cosmiques, il nous offre une peinture de la fin du monde en huis clos, radicalement intimiste, effroyablement incandescente. La proximité avec la menace n'a jamais été aussi affolante que dans Melancholia, qui met sur un même plan l'arrivée monstrueuse de l'astre destructeur et l'effondrement moral des personnages. La surpuissance évocatrice du film de Lars Von Trier repose sur son évidence confondante et l'immédiateté de ses sensations. Nul lyrisme facile ou pompeux ici, nulle mise en scène pompière et ronflante, seulement quelques humains face à la probabilité de leur disparition prochaine, incarnés par des acteurs en état de grâce (Kirsten Dunst et Charlotte Gainsbourg à fleur de peau, deux facettes d'une même mélancolie, Kiefer Sutherland étonnamment vulnérable, dans une antithèse absolue de Jack Bauer). Leurs réactions sont les nôtres. La frontière entre le monde devant et derrière l'écran n'a jamais été aussi mince. Miroir fragile entre fiction et réalité, que le cinéaste n'hésite pas à fracasser dans les derniers instants, nous laissant morts de peur et d'éblouissement. Avec Melancholia, Lars Von Trier donne une nouvelle définition au mot « fin », à travers un dénouement qu'on n'est pas prêt d'oublier. Le choc ressenti à la vision de ce film terrible est d'une telle amplitude qu'il bouleversera pendant longtemps le paysage de la cinéphilie. Monumental !

5sur5

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13 août 2011 6 13 /08 /août /2011 04:01

Very Bad Trip 2, de Todd Phillips (25 mai 2011) : On prend (presque) exactement les mêmes et on recommence. Une suite flemmarde, poussive et sans aucune surprise, plagiat du premier opus dans un décor thaïlandais de carte postale. C'est à peine si l'on parvient à sourire devant cette avalanche imbuvable de clichés et de gags lourdingues. A deux ou trois bonnes trouvailles près, c'est un ratage lamentable. Et dire qu'une suite a déjà été lancée... Ma note : 2/5.

Attack the Block !, de Joe Cornish (20 juillet 2011) : Petite perle de série B britannique bien ficelée, au scénario aussi absurde que brillamment mis en images (l'invasion d'une barre d'immeuble de la banlieue sud de Londres par de terrifiants aliens). Formidablement rythmée, regorgeant d'effets spéciaux aussi minimalistes que parfaitement intégrés, cette bombe d'humour noir, maîtrisée de bout en bout, fait mouche à chaque instant, jusqu'à un incroyable morceau de bravoure final, somptueux ralenti qui redonne tout son sens à l'épique. Ma note : 3,5/5.

attack the block

Le Sang des Templiers, de Jonathan English (20 juillet 2011) : Une fresque médiévale à la photographie léchée, dont les combats – très brutaux – sont malheureusement cadrés par un chef-op épileptique et montés à coups de truelle. Une belle ambiance de huis clos traverse la très longue séquence du siège de Rochester par le Roi Jean, néanmoins gâchée par le cabotinage de certains acteurs, Paul Giamatti en tête. Ma note : 2,5/5.

Les Contes de la Nuit, de Michel Ocelot (20 juillet 2011) : Une jolie succession de tableaux plantant leurs intrigues aux quatre coins du monde et du temps. On pourra reprocher, au-delà de la plaisante beauté naïve des images, une tendance presque exaspérante à la redite et un ennui qui pointe parfois le bout de son nez. Agréable, rafraîchissant, mais un peu décevant. Ma note : 3/5.

Submarine, de Richard Ayoade (20 juillet 2011) : Le portrait mignon et attachant d'un ado anglais rêveur, confronté à ses premiers désirs amoureux. Quelques longueurs cependant, ainsi qu'une réalisation parfois un peu trop appliquée (c'est quand même pas mal pour un premier film !), dont les enjeux dépassent rarement l'imagerie d’'Épinal. La scène d'ouverture, dans laquelle le jeune héros imagine sa propre mort et ses conséquences, est en revanche formidablement réjouissante. Richard Ayoade, surtout reconnu pour son personnage de nerd désopilant dans la série The IT Crowd, est un réalisateur à suivre ! Ma note : 3/5.

submarine

Colombiana, d'Olivier Megaton (27 juillet 2011) : Sans surprise, une nouvelle purge issue des écuries d'Augias Besson. Une histoire de vengeance sans saveur et sans rythme, aux personnages abominablement creux. A oublier illico ! Ma note : 0,5/5.

Bad Teacher, de Jake Kasdan (27 juillet 2011) : Une prof un peu pétasse sur les bords (Cameron Diaz) tente de réunir par tous les moyens à sa disposition une importante somme d'argent, afin de se faire refaire les nichons, qu'elle voudrait énormes. Une comédie américaine pour un public américain facile. Une pseudo-farce lourdingue, jamais drôle et, surtout, d'un ennui abyssal. Recalé ! Ma note : 1/5.

Cars 2, de John Lasseter et Brad Lewis (27 juillet 2011) : Un bon film injustement éreinté par la critique. Alors que l'univers visuel déployé par Pixar se révèle d'une richesse confondante, à faire scintiller de plaisir nos mirettes hallucinées, le scénario, sans temps morts, nous entraîne à perdre haleine dans le sillage d'une aventure rocambolesque, où l'univers de James Bond se frotte au monde rugissant des courses automobiles. Les enjeux sont loin d'être idiots, proposant même un début de réflexion sur la folie des lobbies pétroliers. Mention spéciale au personnage doublé par Michael Caine, dont on peut se délecter de l'irrésistible accent british. Ma note : 3,5/5.

cars 2

La Locataire, d'Antti Jokinen (27 juillet 2011) : Certainement l'un des pires navets de l'année. Un ersatz de Sliver sans aucune sensualité et dépourvu de toute réflexion sur les pulsions humaines (sujet principal du film, pourtant...). Le scénario, nullissime, grille lamentablement toutes ses cartouches au bout de 30 minutes, les acteurs en roue libre font pitié à voir... Rien à retenir. Tout à jeter. Ma note : 0,5/5.

Les Schtroumpfs, de Raja Gosnell (3 août 2011) : Loin d'être la catastrophe annoncée, voilà un film mignon, avant tout destiné aux enfants, jamais ennuyeux et même ponctué de quelques instants savoureux (les petits personnages bleus parcourant les pages de leur propre bande-dessinée originelle...). Mais le scénario n'évite pas toujours le simpliste ou la niaiserie, tandis que Gargamel est insupportable en crétin hystérique. Mention spéciale aux effets spéciaux, qui parviennent à rendre les Schtroumpfs particulièrement expressifs et attachants. Ma note : 2,5/5.

Killing Bono, de Nick Hamm (3 août 2011) : Chronique savoureuse, pleine d'énergie et d'humour, retraçant l'histoire rocambolesque d'un obscur groupe de rock irlandais rêvant de rivaliser avec U2. Portrait aussi attachant que pétillant d'un duo de frangins losers, hanté par la figure insaisissable, spectrale (divine ?) de Bono. British movies rule ! Ma note : 3,5/5.

Super, de James Gunn : Pas encore distribué en France (une honte !), cette tranche de vie aussi barrée qu'effrayante, nous révèle un homme super-ordinaire, que des circonstances malheureuses vont forcer à prendre les armes et endosser un costume de vengeur masqué. La brutalité extrême des scènes de baston est aussi terrible qu'inattendue, tandis que les acteurs s'en donnent à cœœur joie (Ellen Page, déchaînée) pour notre plus grand plaisir. Très différent du Kick-Ass de Matthew Vaughn (on a déjà pu lire des comparaisons ridicules chez certains critiques...), Super trouve sa propre voie, celle d'un lyrisme désespéré, à la fois âpre et violent, constamment décalé mais profondément pessimiste quant à la nature humaine (l'unique promesse de salut résidant dans l'animalité...). Une excellente surprise qui mériterait totalement les honneurs d'une diffusion dans nos salles obscures ! Ma note : 4/5.

super


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26 juillet 2011 2 26 /07 /juillet /2011 14:07

super 8

A l'heure où la plupart des blockbusters ne propose plus que des corridas hystériques souvent montées à coups de truelles et de tronçonneuses, où les effets pyrotechniques gratuits et les bandes-son tonitruantes sont légions, où les acteurs s'effacent, emportés par le torrent de l'ère numérique, subsiste une race d'irréductibles artisans du grand spectacle populaire, dont le credo réside avant tout dans les noces de l'art et du divertissement. Christopher Nolan, Peter Jackson, Guillermo del Toro, Alfonso Cuarón, Baz Luhrmann ou encore Sam Raimi : leur escouade se compte sur les doigts de la main, mais ils sont quasiment les seuls à connaître encore les incantations et formules magiques d'un cinéma capable de nous émerveiller, nous fasciner, nous éblouir, nous faire vibrer. Membre phare et incontestable de cette génération de cinéastes héritiers de Spielberg ou férus de Ridley Scott, J. J. Abrams, après son incursion pleine de panache dans l'univers de Star Trek, revient flatter nos mirettes et nos cœœurs avec Super 8.

Fable délicieusement rétro, où des petits cinéastes en herbe font face à l'arrivée du mystérieux occupant d'un train qui vient de dérailler tout près de leur paisible patelin, Super 8 s'impose comme un hommage magnifique, émouvant et trépidant, au cinéma des années 80. Pas tant dans la reconstitution aussi tendre qu'amusante d'une époque chérie (vêtements, voitures, appareils, gadgets, jeux, musique, films...), car c'est surtout à travers une facture audio-visuelle irréprochable, héritée de cette décennie devenue culte grâce à ses œœuvres (E.T., Star Wars, Retour vers le Futur, Indiana Jones...), qu'Abrams parvient à nous hypnotiser. La puissance évocatrice de Super 8 repose essentiellement sur sa structure : s'ouvrant sur une scène de deuil (les funérailles de la mère de Joe, le jeune héros) puis une scène cauchemardesque de destruction (le déraillement du train, outrancièrement spectaculaire, emblématique du cinéma hollywoodien actuel), le film se lance dans la voie de la reconstruction, dans tous les sens du terme. Reconstruction d'une famille brisée, reconstruction d'un étrange véhicule éparpillé par l'accident initial, mais surtout reconstruction, ou plutôt résurrection, réparation de toute une esthétique propre aux films des années 80. Face à la manie actuelle de la prise de vue parkinsonienne et du montage épileptique, Super 8 nous propose un spectacle aux images posées, cadrées avec goût et mesure, montées avec une élégance et une fluidité confondantes. Prenant soin de toujours placer idéalement sa caméra, Abrams nous prend par la main pour nous plonger, doucement mais sûrement, au cœœur de son aventure. Adoptant le point de vue de ses petits héros sans jamais s'en écarter, il nous implique dans son récit en réveillant notre âme d'enfant, cette âme qu'on ne perdra jamais totalement, qui aime toujours se nourrir d'invraisemblables histoires de monstres, qui se remémore avec nostalgie ce temps révolu peuplé de jouets, de figurines et de maquettes.

Si l'enfant, chez Rimbaud, est un poète, risquons-nous à maintenir cette analogie pour avancer que chez Abrams, l'enfant est un cinéaste. Ce que l'on peut, en premier lieu, appréhender comme une simple mise en abyme (les gamins réalisent un film dans le film), se révèle comme la ligne poétique tout entière de Super 8. Le réalisateur exprime avec ferveur et émotion sa croyance en un cinéma de l'innocence, qui se bâtit à travers un regard d'enfant. Un cinéma pur, aux images simples et fortes. Un cinéma qu'Abrams parvient à faire rayonner à travers tout son film, mais d'une manière plutôt ambigüe. Car dans sa volonté acharnée de livrer le plus bel hommage qui soit à l'art de ses maîtres (Spielberg en tête), le jeune réalisateur semble parfois tétanisé par la peur de les décevoir, à tel point que son travail apparaît à plusieurs reprises comme un peu trop appliqué, oubliant le temps de quelques scènes sa propre identité. On pourrait ainsi taxer le dénouement, pour ne citer que l'exemple le plus flagrant, –de trop « spielbergien ». Mais ce serait injuste de n'y voir qu'une preuve de faiblesse, car Abrams réussit in fine à retourner cet oubli de lui-même en sa faveur. Quand on sait que le premier film amateur de Spielberg, tourné en super 8, causait du déraillement d'un train, le film d'Abrams prend une tout autre dimension : bien plus qu'un banal hommage au maître, on pourrait le voir comme un biopic fantasmé sur Spielberg enfant. Fantasmé dans la mesure où c'est sa propre jeunesse (il était adolescent dans les années 80) qu'Abrams met en scène. La mise en abyme devient alors vertigineuse, un jeu de miroirs fascinant entre deux générations de cinéastes...

Si l'on peut lui reprocher son manque évident d'originalité, dans sa parenté avec celui d'E.T., le dénouement parvient néanmoins - justement grâce à cette parenté - à irradier une belle émotion, aussi puissante qu'inattendue, à travers la seule force évocatrice de ses images muettes, bercées par les notes déchirantes de Michael Giacchino. Le finale de Super 8 reflète l'essence même du film, qu'on aurait tort d'anticiper comme une histoire tordue, affublée d'un twist dément. Il s'agirait non seulement d'un contre-sens, mais aussi d'une source (évitable) de déception. Conscient qu'il s'aventure dans des sentiers battus, Abrams mise moins sur le contenu de sa fable que sur la manière de la raconter. Il nous prouve encore une fois qu'il est un sacré conteur et parvient même à nous donner, avec sa bande de petits cinéastes, l'envie irrésistible de faire des films !

4sur5

L'univers de J.J. Abrams sur The Screen Addict : Star Trek [critique]

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24 juillet 2011 7 24 /07 /juillet /2011 18:20

une separation

Au risque de m'attirer les foudres d'une large partie de la blogosphère ou une mise à l'index de l'intelligentsia critique, je clame et assume avoir détesté Une Séparation d'Asghar Farhadi. Représentant pour moi un sommet de non-cinéma, ce film adulé et primé passe à mes yeux pour le plus surestimé de l'été, voire de l'année 2011. Je mettrai donc un point d'honneur, en dépit de ses quelques rares qualités - jeu impeccable des acteurs, montage soigné - à le pourfendre en perçant à jour sa lourdeur incommensurable.

Lourdeur du sujet, tout d'abord, avec un scénario qui n'est rien d'autre qu'une accumulation monotone d'événements glauques reliant deux familles iraniennes, l'une aisée, l'autre modeste. Le premier couple se sépare. Le mari est accusé d'avoir poussé, sur un coup de colère, sa bonniche enceinte dans une cage d'escaliers et provoqué ainsi une fausse couche. Que peut-il arriver de pire ? Le mari de la bonne, un mordu de la loi du Talion, veut venger sa femme et la mort du fœœtus, en traînant l'autre époux en justice, puis en menaçant sa famille. Que peut-il encore arriver de pire ? Le mari accusé se fourvoie dans un engrenage de mensonges pour sauver les siens, mais surtout sa poire, jusqu'à accepter, poussé par sa femme, d'acheter le silence de ses détracteurs avec un gros paquet de fric. Mais la femme soi-disant poussée dans les escaliers refuse de toucher cet argent, par peur d'attirer le mauvais œœil sur sa famille et par remords, car on apprend qu'elle a menti. Son mari se barre, accablé, tandis que le couple riche se sépare pour de bon. Retour à la case départ. Générique. On est parti de trois fois rien pour aboutir nulle part. Néant scénaristique. Recherche d'un réalisme affligeant de trivialité qui aboutit à une absence d'enjeux dramatiques, une succession de malheurs dont on finit par se lasser. Un drame pathétique venant paradoxalement flinguer sa raison d'être parce qu'il reste figé dans un premier degré assommant.

Mais la lourdeur du sujet entraîne une autre forme de lourdeur, plus pesante encore, celle de la forme. Prisonnier de son manque de recul sidérant vis-à-vis des faits relatés, Une Séparation apparaît comme un film dépourvu de toute espèce d'ambition artistique, où tout apparaît comme trop évident, trop immédiat pour provoquer le moindre intérêt, la moindre émotion. Qu'on se donne la peine de se rappeler que le cinéma est avant tout l'art du mensonge spectaculaire, et l'on se rendra compte sans peine aucune que ce n'est pas à du cinéma qu'on a affaire ici, mais un simulacre de cinéma, une radiographie incroyablement plate du réel. Sous ses oripeaux de tragédie sociale parfois larmoyante, Une Séparation n'est rien d'autre qu'un sommet d'ennui, interminable et soporifique. Honnêtement, posons-nous au moins une fois la question : quel est l'intérêt cinématographique de ce film ? Quel est l'intérêt de mettre en images une histoire si l'on ne prend même pas la peine d'en faire résonner la teneur dramatique ou symbolique ? Quel est l'intérêt de produire des images prisonnières de leur sens premier, des images unidimensionnelles qui n'ont pas d'autre ambition que de platement se montrer ? Quel est l'intérêt de ce « cinéma » du réel, de la souffrance réaliste ? Le drame d'Une Séparation aurait tellement gagné en force s'il s'était offert une mise en scène moins triviale, moins immédiate, moins prosaïque. Que nous reste-t-il à nous mettre sous la dent, en tant que spectateurs, si l'on nous mâche tout d'avance ?

J'en entends qui voudront me lyncher parce que je ne soutiens pas ce film multi-primé et encensé, issu d'un pays en difficulté. Seulement, quand la bienséance conduit à la mauvaise foi, je refuse tout simplement de la suivre. Je refuse de m'aveugler et de trahir mon intégrité de cinéphile en clamant avoir aimé un film que je déteste. Et je tiens à préciser qu'il n'est absolument pas question ici de discrimination, quelle soit positive ou négative. Je regrette que la plupart du milieu critique se voile la face au nom d'une bienséance hypocrite, pour faire bonne figure. Combien, contre leur opinion, ont écrit des éloges sur Une Séparation, de peur de passer pour des imbéciles ? Combien, dans un élan de paternalisme poussiéreux, ont préféré le porter aux nues plutôt que d'en reconnaître les limites et les défauts ? Je n'attaque pas ici ceux qui l'ont sincèrement apprécié – il y en a, - et je respecte leur avis -– mais tous ceux qui rentrent dans le moule de la bien-pensance, par lâcheté, par peur de se voir bannir du royaume douillet des Bisounours et autres couards de la pensée.

Pour en finir avec Une Séparation et anticiper d'éventuelles objections absurdes, l'origine géographique du film n'est absolument pas entrée en compte dans ma grille d'évaluation. J'appréhende tous les films que je vois d'une manière tout à fait égale, donnant leur chance à chacun avant la projection. Dans les pays les plus défavorisés comme à Hollywood, les pires films côtoient les chefs-d'œ’œuvre. Malheureusement, à mes yeux, et ce n'est que mon humble avis, Une Séparation appartient à la première catégorie. Pour résumer mon point de vue exaspéré sur ce film, qui pour moi représente l'archétype de l’œ'œuvre d'auteur longuette, chiante et prétentieuse, je laisserai le mot de la fin à un certain Gustave Kervern, qui s'écriait dans un de ses fameux sketchs grolandais : « J'en ai rien à foutre de vos vies de merde ! J'ai la même à la maison ! »

1sur5

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