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31 mai 2010 1 31 /05 /mai /2010 11:12

24 02

24 heures chrono vient de baisser le rideau après dix années de bons et loyaux services. La série la plus explosive de la décennie 2000 s'est achevée le 24 mai dernier, au terme de 8 saisons, bâties sur le principe dramatique de l'action en temps réel. Un procédé révolutionnaire, car jamais osé sur une durée aussi grande que celle d'un show télévisuel. 24 heures, 24 épisodes, tel était le pari délirant de cette série lancée le 6 novembre 2001 par Joel Surnow et Robert Cochran, dans la quasi simultanéité des événements tragiques du 11 septembre. Un pari renouvelé huit fois. Autant dire qu'il s'agit d'une entreprise hors normes, une construction scénaristique parmi les plus spectaculaires jamais proposées sur le petit écran.

Complot mortel contre le Président des États-Unis, menaces nucléaires, armes biologiques, assassinats en tous genres, soulèvements de dictateurs... 24 heures chrono construit ses intrigues sur les dangers et les angoisses les plus profonds de notre temps, en phase avec une actualité géopolitique souvent tendue, sinon explosive. Qu'est-ce qui différencie ce show d'un journal de 20h ? Un déploiement dramatique colossal, qui s'empare des soubresauts de l'actualité pour les jeter dans un bouillonnant canevas d'action, de suspense, d'horreur et d'émotions. Mais aussi, et surtout, une subjectivité incandescente, une puissance critique souvent audacieuse reposant sur le regard et les épaules de son personnage principal, devenu une véritable icône télévisuelle : Jack Bauer, agent de la Cellule anti-terroriste de Los Angeles, magistralement interprété par le comédien Kiefer Sutherland (L'Expérience interdite, Young Guns, Mirrors...). Outre son statut d'homme d'action absolu, Bauer incarne à lui seul la mauvaise conscience d'une Amérique rongée par ses pires démons. Le grain de sable dans les rouages trompeurs et pourrissants d'un système politique aussi arrogant que monstrueusement idéaliste. Un bad guy d'anthologie pour qui la fin justifie toujours les moyens, défenseur inébranlable de la notion de justice. Jack Bauer est une incarnation paradoxale du bien le plus absolu, n'hésitant jamais à recourir à la torture ou au meurtre pour la protection de ses concitoyens. Son éthique ? Sauvée par le contexte. Ses victimes sont toujours des terroristes pris sur le fait ou ayant la claire intention de nuire, des responsables d'assassinats, ou des criminels de guerre. Ce qui ne l'empêche pas de commettre parfois des actes moins justifiables, mus par des motivations personnelles (histoire de vengeance dans la saison 8). Les zones d'ombre du personnage, indissociables de ses exploits les plus admirables, lui donnent une épaisseur humaine terriblement crédible, attachante. Louables pour les uns, blâmables pour les autres, ses agissements reflètent à une échelle individuelle ceux du gouvernement américain, toujours ambigus, les bonnes actions engendrant simultanément des conséquences positives et négatives, les mauvaises actions également. D'où la confrontation de Jack, comme des dirigeants politiques, à  des  dilemmes  insolubles : sacrifier dix mille citoyens pour en sauver des millions, taire une horrible vérité pour le bien de tous, devoir éliminer une menace alors que cette menace est une personne proche... Ignorant la notion même de manichéisme, 24 heures chrono bouscule en permanence la morale de son spectateur en le confrontant aux situations les plus extrêmes.

La série n'étant cependant pas philosophique, sa dimension subversive s'élabore dans l'action pure. Les problèmes éthiques se posent toujours dans l'urgence la plus affolante, à travers les choix des personnages, les actes qu'ils commettent et leurs conséquences immédiates. L'unité de temps adoptée par chaque saison installe une situation de crise à résoudre. Chaque épisode apporte ou détruit les éléments successifs de cette résolution, sur trois échelles inséparables : celle de Jack, celle de la Cellule anti-terroriste, celle de la Présidence américaine. Les décisions ou les actions commises à chacune de ces échelles font avancer ou reculer la résolution de la crise, tout en posant des questions éthiques différentes : Jack incarne une conscience individuelle (instinct de survie, protection de la famille), la CTU une conscience collective, celle d'un groupe ayant pour mission de déjouer les menaces terroristes, la Présidence une conscience plus complexe, car elle se doit d'être universelle en s'incarnant dans une seule personne, responsable de tous. Bien sûr, ces trois niveaux de conscience face aux problèmes éthiques (comment agir au mieux) finissent toujours par s'entremêler, Jack Bauer influençant souvent très directement des choix présidentiels, ou bien le gouvernement prenant parfois le contrôle de la CTU. Toujours est-il que la série pose toujours ses questions morales par l'action, évitant l'ennui d'une réflexion trop cérébrale ou contemplative : Jack ne délibère jamais, ce sont ses actes (torture, fusillades, poursuites...) qui font avancer le récit ; la CTU orchestre les enquêtes, la Présidence discute des choix possibles dans le cadre systématique d'une situation bien concrète (personnalité politique en danger de mort, ultimatum lancé par un groupe terroriste, chantages, tentatives d'attentats...).

24 01

Le prodigieux canevas dramatique de 24 heures chrono se révèle d'une redoutable efficacité car il ne répond qu'aux lois de l'action et du suspense, c'est-à-dire des exigences purement feuilletonesques. Mais la série transcende littéralement les règles du feuilleton par le traitement explosif d'une temporalité immuable : quelle que soit la nature de la crise, Jack Bauer ne dispose que d'un jour pour la résoudre. Le principe relève de la folie -– il se passe plus d'incidents politiques en 24 heures dans la série que pendant toute une année dans notre réalité -– mais il faut reconnaître que c'est une indéniable garantie de tension et de nervosité permanente. Le suspense, s'il est constant, culmine à chaque fin d'épisode à travers un coup de théâtre, une révélation inattendue, ou bien une scène inachevée particulièrement tendue. Un moyen imparable de scotcher le spectateur à son fauteuil et de le fidéliser. D'autant plus que les twists sont légions dans 24 heures chrono, et particulièrement diaboliques. Fausses identités, fausses pistes, taupes en tous genres, des traîtres qui en couvrent d'autres... les intrigues et leurs rebondissements ahurissants impressionnent en même temps qu'ils nous maintiennent en haleine. Chaque saison est en quelque sorte une prise d'otage de ses spectateurs, délicieusement condamnés à la suivre jusqu'à son dénouement. Un dénouement qui souvent prend la forme d'un twist annonçant la saison suivante. Les scénaristes ont pu ainsi réaliser l'exploit de captiver leur public pendant près d'une décennie.

Mais 24 heures chrono a surtout su gagner cette adhésion en offrant une galerie de personnages formidablement attachants. Reposant presque entièrement sur les épaules de Jack Bauer, grâce à la performance fébrile, rageuse et parfois bouleversante de Kiefer Sutherland, la série présente une foule de figures inoubliables. Parmi les plus connues, Nina Meyers (incarnée par Sarah Clarke), traîtresse d'anthologie, dont la présence maléfique hante les trois premières saisons. Une garce de légende à la perversité sans bornes, dont Jack aura bien du mal à se débarrasser. Chloe O'Brian (Mary Lynn Rajskub), analyste de génie au service de la CTU, aussi agaçante qu'indispensable, marque profondément les mémoires par l'amitié et la loyauté magnifiques qu'elle témoigne à Jack pendant six saisons (avec ses 125 apparitions, elle est le deuxième personnage le plus récurrent après Bauer). Le Président David Palmer (incarné par le colossal Dennis Haysbert) s'impose par les idéaux qu'il incarne, son charisme et son émouvante foi en Jack. Le Président Charles Logan (incarné par Gregory Itzin) installe sur plusieurs saisons une atmosphère empoisonnée par son caractère incroyablement retors. Le personnage de Tony Almeida (incarné par le ténébreux Carlos Bernard) restera dans les annales pour l'ambiguïté permanente de ses positions, basculant d'un camp à l'autre sans crier gare, au moment où l'on s'y attend le moins. Quelques autres figures restent mémorables : Sherry Palmer (Penny Johnson Jerald), épouse de David, pour sa sournoiserie légendaire, George Mason (Xander Berkeley), directeur de la CTU, pour son bouleversant sacrifice dans la saison 2, le garde du corps Aaron Pierce (Glenn Morshower) pour son dévouement héroïque à David Palmer. Des guest stars viennent pimenter un remarquable casting, tels que Michael Madsen (saison 8), Jon Voigt (saison 7), Peter Weller (saison 5), Sean Astin (saison 5), Powers Boothe (saison 6), William Devane (saisons 4, 5, 6), Freddy Prince Jr. (saison 8), mais aussi d'illustres débutants (Zachary Quinto, dans la saison 3, par exemple) et de courageux comédiens engagés pour incarner des personnages de terroristes proprement cauchemardesques.

Car 24 heures chrono est aussi une série courageuse, jugée à tort comme pro-américaine, qui a osé traiter frontalement le fléau terroriste, qu'il soit islamique, russe, africain, est-européen, ou carrément occidental. N'épargnant rien ni personne, les scénarios vont ainsi jusqu'à mettre en scène la participation honteuse du gouvernement américain dans la plupart des attaques terroristes dirigés contre sa propre nation. Les gendarmes du monde se saignent eux-mêmes pour justifier leurs actes interventionnistes au Moyen-Orient, comme dans toutes les poudrières du monde. Telle est la morale acerbe de 24 heures chrono, qui renvoie dos à dos les systèmes politiques d'Amérique et d'ailleurs, dans leur désir aveugle de domination. Le personnage de Jack Bauer n'est finalement qu'un révélateur de la barbarie universelle, une barbarie contre laquelle il devient peu à peu impuissant, réalisant que les institutions de son pays ont fait de lui un monstre. Jusqu'au retournement final de la dernière saison...

5sur5


Pour finir par un hommage souriant à cette série culte, en attendant le long-métrage conclusif dans nos salles de cinéma, voici un portrait un peu particulier de Jack Bauer, personnage ô combien attachant alors que rien ne paraît plus difficile que de s'identifier à lui : son métier est mortellement dangereux, ses amis ont tendance à tomber comme des mouches, sa maîtresse a flingué sa femme, il a flingué sa maîtresse, sa fille est accro aux enlèvements et quand il peut enfin la voir c'est lui qui disparaît, ses collègues de travail le craignent comme le dieu Ares, ses patrons se sacrifient pour lui (ministres et Présidents compris), ses ennemis se comptent en milliards depuis qu'il a attaqué une ambassade chinoise à Los Angeles, il a déjà botté le cul d'un Président américain en fonction, il résout TOUT en 24 heures, il n'est pas humain au sens biologique du terme (il ne boit pas, ne mange pas, ne dort pas, n'a aucun besoin naturel, il ne rit jamais), les seuls films qu'il voit sont des snuff movies diffusés sur le net par des terroristes, il ne regarde jamais les infos puisqu'il les crée, il ne se drogue jamais même quand il est accro à l'héroïne, il ne bronze que sous la lumière des champignons atomiques, ses seules vacances se sont déroulées pendant un break de 2 ans à l'ombre des geôles chinoises, sa belle-sœœur le désire, son père est un génie du mal, son père assassine son frère, il n'a pas de mère, il torture son propre frère (avec un sac plastique, la grande classe), son frère est l'assassin de ses meilleurs amis, il a ressuscité 3 fois, la seule vraie famille qu'il ait jamais eue était une couverture quand il devait se faire passer pour mort.        

Et en bonus, voici quelques « Jack Bauer facts » glanés sur le net :

1) La municipalité de Los Angeles avait baptisé l'une de ses rues « Jack Bauer », en remerciement de ses bons et loyaux services. Le nom a rapidement été supprimé en raison de la très forte mortalité qui régnait dans cette rue : personne ne passe par Jack Bauer sans mourir...

2) Si Jack Bauer était enfermé avec Hitler, Staline et Nina Myers avec seulement deux balles dans son flingue, il tirerait sur Nina. Deux fois...

3) Quand Jack Bauer a appris que Kiefer Sutherland jouait son rôle dans une série TV, Kiefer Sutherland est mort. Personne ne joue Jack Bauer.

4) Si tous les personnages suivaient les instructions de Jack Bauer, la série s'intitulerait 12 heures chrono.

5) Une fois, Jack a oublié l'endroit où il avait laissé ses clés. Il s'est auto-torturé pendant une bonne demi-heure avant de les retrouver.

6) Pour endiguer l'immigration clandestine mexicaine, Obama aurait pour projet de placarder de gigantesques portraits de Jack Bauer le long de la frontière.

7) Jack ne croit pas à la loi de Murphy, seulement à la sienne : « Quoiqu'il puisse arriver de mauvais, on peut le résoudre en 24 heures. »

8) 1,6 milliards de Chinois veulent la mort de Jack Bauer. Un rapport de force relativement équilibré...

9) Il n'y a plus un seul attentat terroriste sur le sol américain depuis que Jack Bauer est apparu sur le petit écran.

10) Quand Kim Bauer a perdu sa virginité, son père l'a retrouvée et lui a rapportée.

11) Jack Bauer peut jouer à la roulette russe avec un chargeur plein et gagner.

12) Jack Bauer n'a jamais été accro à l'héroïne, c'est l'héroïne qui était accro à lui.

13) Se faire flinguer ne tue pas Jack Bauer... ça le rend furieux.

14) Jack Bauer ne parle aucune langue étrangère, il peut faire apprendre l'américain à n'importe quel étranger en quelques minutes, flingue en main.

15) La naissance de Kim était un accident : aucune pilule n'arrête Jack Bauer.

16) Jack Bauer a déjà donné une conférence à Harvard : « Organiser son temps, ou comment tirer le meilleur profit d'une journée. »

17) Après sa mort, il a fallu trois jours au Christ pour ressusciter. Avec Jack Bauer, ça ne prend pas plus d'une heure. Et ça lui est arrivé plusieurs fois.

18) Si Jack Bauer vous tue pendant une partie de chasse, ce n'est pas un accident.

19) Une fois, Jack Bauer a appelé le Vice-Président « Monsieur le Président ». Il a tué le Président. Jack Bauer ne se trompe jamais.

20) Chase Edmunds a dû attendre patiemment la mort naturelle de Jack Bauer avant de pouvoir baiser Kim.

21) Si Jack Bauer passe un portail de sécurité dans un aéroport et que ça ne sonne pas, le personnel lui file vite un flingue.

22) Jack est mort pour son pays...

23) ... et il a survécu pour pouvoir le raconter.

24) Si vous braquez un flingue sur la tempe de Jack Bauer, ne comptez pas jusqu'à 3 mais jusqu'à 10. Ca vous laissera 7 secondes de plus à vivre.

 


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18 mai 2010 2 18 /05 /mai /2010 06:44

cesar

Rome est une série sans précédent dans l'histoire du petit écran, une incontestable révolution. Produite par HBO, créée par John Milius (Conan le Barbare) et Bruno Heller, initialement prévue pour se déployer sur cinq saisons, elle n'en compte malheureusement que deux à ce jour, pour des raisons purement commerciales, son budget colossal ne trouvant aucune compensation à cause de la faiblesse des recettes. Toujours est-il que ces deux précieuses saisons constituent assurément l'œœuvre télévisuelle la plus ambitieuse jamais réalisée.

D'une ampleur historique jamais vue, le scénario parcourt une période de l'Antiquité romaine allant de l'avènement de César à celui d'Octave, de la chute de la République à la naissance de l'Empire. L'intrigue croise une trame historique, à travers la représentation des changements politiques et des grandes batailles, et une trame fictive, narrant le destin de deux soldats de la légion, Lucius Vorenus et Titus Pullo. Vient s'y entremêler une peinture sombre, décadente et chaotique de la société et des mœurs du peuple romain, où la violence et la mort côtoient en permanence le vice dans des décors rappelant la misère et le bouillonnement des métropoles actuelles du Tiers-Monde.

Si, d'une saison à l'autre, l'esthétique se révèle impressionnante, rappelant les grands péplums hollywoodiens (Cléopâtre, Spartacus...), elle n'est pas la fin de la série. L'accent est placé sur la construction du scénario, riche en rebondissements, trahisons, intrigues politiques et sentimentales, batailles sanglantes, guerres collégiales et prises de pouvoir. Le kitsch et la bienséance en sont bannis. On est dans l'horreur intégrale, viscérale. La mise en scène, quand elle ne se concentre pas sur les tensions politiques entre dirigeants véreux ou mégalomanes, explore les tragédies qui se jouent au sein de différentes familles, à tous les niveaux sociaux. Rien ni personne n'est épargné : l'aristocratie (les Julii, par exemple) est un repère d'obsédés sexuels querelleurs avides de toute-puissance, les sénateurs ne sont que des opportunistes sournois ne connaissant que la trahison et la peur, les couches modestes sont gangrénées par la prostitution et le crime, omniprésents. Aucune promesse de salut à l'horizon. Mais les créateurs de la série opèrent un tour de force : l'horreur ne rebute pas, elle est totalement fascinante, elle donne à la tragédie une force dramatique colossale. L'horreur dans Rome est magnifique, trouvant un bel écrin empoisonné dans l'exotisme des décors et l'interprétation fiévreuse des acteurs.

octave

La beauté des femmes n'a d'égale que leur perfidie. On se laisse séduire par une galerie de perverses inoubliables d'ambiguïté, pétries de cruauté et de fragilité, simultanément. D'un charisme ravageur, Polly Walker incarne une Atia de Julii mémorable, mère sublime et garce d'anthologie, aussi douée pour les intrigues de pouvoir que pour d'interminables parties de jambes en l'air avec son amant Marc Antoine. Face à elle, la grande Lindsay Duncan prête la sèche beauté de ses traits à l'ignoble Servilia, mère du célèbre Brutus, triste figure du mal : on la plaint autant qu'on la déteste, avec la même force. Les autres personnages de femmes offrent une fascinante diversité de caractères, qu'il s'agisse des plus jeunes (Kerry Condon dans le rôle d'Octavia de Julii, Zuleikha Robinson dans celui de l'ignoble putain Gaïa) ou des plus âgées (innombrables servantes).

Du côté des hommes, les acteurs rivalisent eux aussi de charisme, mêlant subtilement une virilité statuaire et de bouleversantes fêlures. Les protagonistes, Lucius Vorenus (Kevin McKidd) et Titus Pullo (Ray Stevenson) offrent un duo de soldats complémentaires instantanément cultes, dont la psychologie et les motivations mûrissent au fil des épisodes, habitant les zones d'ombres de l'histoire avec une présence dramatique époustouflante. Ils incarnent à eux deux les plus grandes respirations de l'intrigue, c'est par eux que le spectateur se retrouve emporté dans le torrent romanesque de la série. Leur destin est inexorablement mêlé à celui des grands hommes qui les gouvernent, donnant aux articulations de l'Histoire un visage terriblement humain, accessible. On est littéralement bouleversé lorsque Pullo se voit contraint d'aller exécuter Cicéron dans sa maison de campagne, s'extasiant sincèrement sur la qualité des pêches de son verger avant de l'égorger. On est pétrifié d'horreur et de tristesse lorsque Marc Antoine, pris au piège dans le palais de Cléopâtre, demande à Lucius Vorenus de l'aider à se donner la mort.

titus pullo

La troublante proximité, l'intimisme permis par le jeu très naturel des comédiens se voient habilement contrebalancés par le gigantisme ponctuel des scènes de batailles et de cérémonies officielles. Le triomphe de César (saison 1, épisode 10), tourné comme toutes les scènes urbaines dans les mythiques studios de Cinecittà, est d'une splendeur et d'une solennité audio-visuelles à couper le souffle, tandis que la bataille de Philippi (saison 2, épisode 6) n'a rien a envier aux tableaux épiques de Troie (Wolfgang Petersen) ou d'Alexandre (Oliver Stone). Dans la digne lignée du Gladiator de Ridley Scott, la scène d'arène où Pullo massacre tout seul une quinzaine de brutes (saison 1, épisode 11) est une stupéfiante explosion de violence gore (égorgements, démembrements, étripages, décapitations) étonnamment nimbée d'une infinie tristesse, d'une profonde amertume. Cette scène restera comme l'une des plus puissantes de toute la série, portée par une ode barbare à la fraternité, Vorenus venant finalement prêter main forte à son compagnon en danger. D'autres instants d'anthologie viennent ponctuer une fresque intense et brutale (le terrifiant suicide de Servilia, la mort héroïque de Brutus, la mort de Marc Antoine et de Cléopâtre...), où viennent se greffer quelques pointes humoristiques bienvenues (grâce au caractère enjoué de Pullo) et des instants de tendresse renversants, comme cette scène presque finale, où des enfants viennent pardonner crimes et fautes à leur père odieux, alors qu'il est mourant.

Par sa splendeur visuelle, par le jeu très inspiré de ses comédiens, par la richesse de son scénario, par son ambition démesurée et la folie de sa mise en scène, Rome est une série télévisée qui a toutes les apparences d'une grande œœuvre cinématographique, osant pulvériser à chaque plan les limites de son support. Quel dommage que le public ait si vite abandonné le navire. Une telle puissance créatrice ne pouvait laisser présager que le meilleur. Espérons, le pouce levé, que le scénario, récemment achevé par Bruno Heller dans l'optique d'un film prolongeant les deux saisons, répondra à nos fiévreuses attentes ! Rome mérite plus que toute autre série l'immensité des salles obscures.

5sur5

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