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13 mars 2012 2 13 /03 /mars /2012 19:00

a bittersweet life

Administrateur impitoyable d'un grand hôtel de luxe pour le compte d'un patron de la pègre, Kim Sun-woo est un homme d'habitudes, un être de rituels, ivre de contrôle, réglant son existence à la manière d'un métronome. Jusqu'au jour où sa routine vole en éclats, quand son boss lui demande de surveiller l'une de ses maîtresses et de l'éliminer s'il découvre qu'elle le trompe. Kim tombe sous le charme de la jeune femme et lorsqu'il la surprend dans les bras d'un autre homme, il renonce à exécuter l'ordre de son chef en lui laissant la vie sauve. Accusé de trahison, il devient ainsi la cible de son propre gang et d'une faction rivale, dont il vient d'attiser la haine...

Après Deux sœurs, splendide film d'épouvante où l'horreur se teintait d'une touchante mélancolie, Kim Jee-woon revisite avec A bittersweet life le genre du film noir, à travers une fresque citadine rendant un hommage vibrant au Samouraï de Jean-Pierre Melville. S'il conserve bien les principaux codes du genre (héros solitaire et ténébreux, nombreuses scènes nocturnes, ambiance étouffante), le cinéaste coréen parvient néanmoins à les contourner au profit de la construction d'un univers très personnel, caractérisé par un mélange des tons explosif, un art unique de la rupture et du décalage. « Le monde est trop absurde pour qu'on le représente de manière sérieuse au cinéma. Le monde est cruel, chaotique et ridicule » confie Kim Jee-woon. Sur le velours noir de son récit (la chute et la revanche sanglante de Kim Sun-woo), il vient ainsi greffer quelques savoureux fragments d'humour absurde (dont une confrontation aussi tordante que mémorable avec des marchands d'armes crétins), faisant basculer le polar vers une théâtralité étrange et fascinante. Thriller drôlement brutal, A bittersweet life sait aussi se montrer touchant lorsque la soif de sang vengeresse du héros laisse sourdre de ses blessures les lambeaux d'un mélodrame écorché, celui d'un amour impossible, d'une humanité inatteignable.

Bâti sur le déchirement de son protagoniste, dont la chute est provoquée par une perte totale de contrôle, le drame du film se déroule en suivant un crescendo implacable, d'une intensité foudroyante. L'occasion rêvée pour Kim Jee-woon de nous livrer des morceaux de bravoure ahurissants, douloureusement jubilatoires, s'inscrivant instantanément parmi les plus virtuoses du genre, de la séquence d'ouverture fracassante, qui explore dans ses moindres recoins le décor de l'hôtel où travaille le héros, à une fusillade finale d'anthologie où le sang coule à flots, en passant par l'évasion de Kim depuis un hangar où il est retenu prisonnier. Une batterie de téléphone portable, un bout de bois enflammé, une armée de sbires, la rage infinie du héros, et nous voilà plaqués au fond de nos sièges, les ongles plantés dans les accoudoirs. Mais l'ampleur des scènes d'action, si elle repose en grande partie sur la nervosité du montage et le réalisme agressif des combats, ne serait rien sans la performance électrique du fidèle Lee Byung-hun (que l'on retrouvera dans Le Bon, la brute et le cinglé puis J'ai rencontré le diable, du même auteur), qui s'investit corps et âme dans son rôle, incarnant avec une ferveur aussi discrète que ravageuse les blessures de son personnage.
Aussi à l'aise dans la baston que dans l'intimisme mutique des scènes d'accalmie, l'acteur fétiche de Kim Jee-woon donne au film une âme inoubliable. Gueule d'ange semeuse de mort, pétrie d'innocence et de fureur, d'élégance, de délicatesse et de barbarie (Kim déguste un sublime gâteau au chocolat noir - douceur amère par excellence - ou reboutonne sa veste de costard avant d'aller poutrer de la racaille). Le destin de Kim nous touche, d'abord par la tragédie qui s'abat sur lui mais surtout par son aspiration (sans cesse entravée) à une vie meilleure, une autre existence fantasmée loin de toute brutalité. Paradoxe troublant, Kim est une incarnation pure de la violence, rêvant en permanence à l'affranchissement de sa propre nature.
L'impossibilité de cette libération, apparaissant comme aussi utopique qu'absurde, emblématise la vision de la nature humaine par le cinéaste. Une vision noire, profondément pessimiste, mais d'une beauté bouleversante dans les horizons lumineux qu'elle effleure. Si A bittersweet life est un film ténébreux et brutal, toute sa précieuse substance pourrait bien résider dans son point aveugle, révélé ultimement lors d'un déchirant contre-champ : le sourire d'un homme répondant au regard d'une femme... de la musique... puis une larme émergeant d'un océan de sang... Puissance silencieuse d'un bonheur seulement frôlé, d'un rêve injustement mutilé. Puissance d'un cinéma qui parvient à étreindre les cœurs au détour d'un seul plan, d'une simplicité désarmante, et à graver, sur l'écran noir de ses images obsédantes, la douceur éphémère et les amertumes de la vie. Du très grand art !

5sur5

banniere semaine cine coreen

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19 janvier 2012 4 19 /01 /janvier /2012 02:10

Millénium

Après L’Étrange histoire de Benjamin Button et The Social Network, à travers lesquels David Fincher explorait son thème favori, la marginalité, au moyen d'un surprenant classicisme formel, l'auteur de Se7en nous propose avec sa relecture de Millenium un thriller aussi captivant que torturé, doublé d'un nouveau portrait de marginale, celui d'une Lisbeth Salander réinventée.

Passé un générique d'ouverture d'une puissance graphique à couper le souffle annonçant une atmosphère lourde et goudronneuse, porté par une reprise écorchée de l'Immigrant Song de Led Zeppelin, le film reprend les grandes lignes de l'intrigue déjà adaptée il y a trois ans par Niels Arden Oplev : Mikael Blomkvist (Daniel Craig), journaliste brisé par un procès pour diffamation qu'il vient de perdre, se voit contacté par un puissant industriel suédois qui cherche à découvrir la vérité sur la disparition de sa nièce, quelques décennies auparavant. Au cours de son enquête, qui va l'amener à déterrer de terribles secrets de famille, Blomkvist rencontre une jeune hackeuse rebelle, Lisbeth Salander (Rooney Mara), qui devient son assistante. La grande force de l'adaptation de Fincher réside d'emblée dans la peinture attachante des deux personnages principaux, Blomkvist et Salander, deux êtres que tout sépare a priori, mais qui finissent par former un véritable couple de cinéma, totalement complémentaire et complice, rappelant parfois l'improbable duo Norton/Bonham-Carter de Fight Club.

A la personnalité BCBG d'un Craig-Blomkvist ordinaire (intéressante désacralisation de l'acteur, que l'on identifie désormais trop facilement à James Bond), Fincher oppose la noirceur douloureuse d'une féroce mais fragile Mara-Salander (méconnaissable sous son teint blafard et ses innombrables piercings). Seulement dans un premier temps, car la progression dramatique du film, à travers son exploration de la force et de la faiblesse de chacun, finit par les réunir en une seule entité prête à affronter le mal qui se dresse de tout côté. Mais si, sous l’œil de Fincher, Craig apparaît comme moins marmoréen qu'à l'accoutumée, c'est avant tout le portrait de Lisbeth Salander qui le fascine et l'inspire : Rooney Mara compose en effet un personnage qui nous rappelle à peine celui qu'incarnait Noomi Rapace, un personnage féminin écorché littéralement réinventé, investi d'une sensibilité nouvelle et d'une touchante ambiguïté, dont le corps et l'âme hantent durablement l'esprit du spectateur. Fincher évite habilement le cliché de la rebelle gothique et bourrine pour lui redonner une troublante féminité, à la fois attirante et mystérieuse, tour à tour offerte et sibylline, simultanément ange et démon. Incarnation de la vulnérabilité sous une carapace de dragon. Un portrait de femme qu'on est pas prêt d'oublier et qui vient enrichir la galerie de marginaux fascinants construite par le cinéaste tout au long de son œuvre.

Tout en reforgeant l'identité des personnages clés de l'intrigue, Fincher donne à son adaptation de Millenium une identité graphique, esthétique, que ne possédait pas son prédécesseur, à savoir des images fortes et marquantes au service de la construction d'un véritable univers cinématographique. Jeff Cronenweth, désormais directeur de la photographie attitré de Fincher, confère au film une splendeur perpétuelle, noces pétrifiantes de cadrages élégants, d'accents expressionnistes (dans le jeu des contrastes, des ombres et des clairs obscurs) et d'une noirceur toute métallique. Une splendeur de chaque instant portée par la fluidité confondante du montage. Le rythme langoureux de l'histoire, hanté par les accords lancinants de Trent Reznor et Atticus Ross, nous plonge dans une atmosphère entêtante aux frontières du fantastique et du conte. Un conte où le merveilleux s'est depuis longtemps délité, un conte moderne et cruel dressant le portrait d'âmes noires. Redonnant à la notion d'enquête ses lettres de noblesse, Fincher plonge nos rétines dans l'insondable goudron d'un mal obsédant et nous livre, avec une formidable délectation, l'un de ses plus beaux polars.

4sur5

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6 octobre 2011 4 06 /10 /octobre /2011 00:51

drive

Drive n'a pas volé son Prix de la mise en scène lors du dernier Festival de Cannes. Nicolas Winding Refn nous livre avec son nouveau long métrage un polar magnifique aux accords entêtants, un pur objet d'addiction filmique.

Un jeune cascadeur de cinéma, arrondissant ses fins de mois en mettant ses talents de pilote au service de truands, provoque presque malgré lui un règlement de comptes entre mafieux, qui le forcera à commettre le pire en s'improvisant justicier sanguinaire pour sauver la femme qu'il aime. Conscient d'arpenter des sentiers battus à travers une multitude de références (Scarface, Collateral, Taxi Driver...), le scénario a priori prétexte de Drive se révèle être un modèle d'efficacité narrative, aux dialogues épurés, centré sur l'action et les intéractions, s'appropriant en permanence tous les clichés qu'il emploie, en les métamorphosant un à un dans l'optique d'un objet de fascination très personnel. Nicolas Winding Refn s'attache moins au contenu de sa fable urbaine qu'à la manière de le déployer. Grâce à un style visuel d'une maîtrise et d'une élégance confondantes, le cinéaste parvient à nous hypnotiser du premier au dernier plan, en inscrivant la noirceur de son sujet dans un cadre aux frontières de la rêverie : effets de ralentis saisissants, montage fluide, transitions éthérées, bande-originale merveilleusement planante, acteurs quasi mutiques...

Mais la langueur de Drive est vicieuse. Car si le film, par raffinement, met souvent des gants, à la manière de son « driver » tout droit sorti des années 80 (énigmatique Ryan Gosling), c'est pour mieux nous agresser, sans crier gare, en nous balançant tels des uppercuts de redoutables explosions de violence. Incarnation de cette brutalité, à la fois douloureuse et naïve, le personnage interprété par Gosling se révèle formidable d'ambiguïté, iceberg humain dont la surface angélique ne laisse présager en rien sa part obscure de sauvagerie. Gueule d'ange vengeresse, aussi mortelle que le scorpion doré brodé sur son blouson blanc, le « driver » offre à l'intrigue des séquences d'anthologie qu'on n'est pas prêt d'oublier. Massacre d'une barbarie aussi inouïe qu'inattendue dans une cabine d'ascenseur, poursuite endiablée dans les collines de Los Angeles, assaut meurtrier au fusil à pompe dans un appartement... Autant de morceaux de bravoure qui nous laissent tétanisés au fond de nos fauteuils, témoignant de la virtuosité du cinéaste dans l'art de l'embuscade, de la rupture. Un art fait de contrastes et d'harmonieuses discordances, à l'image du protagoniste.

Leçon de mise en scène, Drive est un spectacle à la fois rêche et délicat, un slow visuel agressif méditant sur l'ambivalence fascinante des surfaces, des apparences. Les éléments réfléchissants du décor sont autant d'écrans diffractant le sens de la vue, tels les pares-brise et les rétroviseurs de la voiture du « driver », cadrés depuis l'intérieur de l'habitacle pour donner la sensation vertigineuse de contempler une action en split-screen. Nicolas Winding Refn rêve l'automobile comme une salle de cinéma, espace à la fois clos et ouvert sur le monde, espace mental partagé par le conducteur et le spectateur. Un espace ouvert à la rêverie où se superposent le plaisir grisant de la conduite, de la vitesse, et la délectation que peut offrir un bel objet de cinéma. Lorsque les notes langoureuses et les lettres roses sur fond noir du générique de fin viennent caresser nos yeux et nos oreilles, une envie irrésistible nous saisit : revenir nous asseoir dans le bolide de Refn pour une nouvelle virée !

5sur5

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20 août 2011 6 20 /08 /août /2011 17:35

la piel que habito

Pedro Almodóvar poursuit son inexorable exploration des ténèbres de l'âme humaine, qu'il avait initiée dans La Mauvaise éducation. Sillonnant les sentiers glaciaux d'un thriller macabre, La Piel que habito apparaît comme son film le plus sombre, le plus effrayant : un chirurgien esthétique dérangé (Antonio Banderas) s'adonnant à des expériences contre-nature, séquestre une jeune femme pour des raisons troubles. Le récit, construit autour d'un gigantesque flash-back, révèle implacablement le passé de chaque personnage, articule et assemble leurs destinées à travers le sinistre puzzle d'une tragédie. A ceci près que le tragique ne rime jamais ici avec une quelconque catharsis. Ce n'est pas le sang chaud d'un drame latin qui irrigue la dernière mouture d'Almodóvar, mais, contre toute attente, la froideur pétrifiante d'un suspense quasi scientifique. La confusion mentale et sexuelle qui pèse sur l'atmosphère de La Piel que habito se voit disséquée par un regard clinique proprement effrayant, parfois contre-balancé par quelques fragments d'humour noir et un zeste de folie ambiante.

A l'image de Vera, la femme enfermée, observée sous tous les angles à travers une multitude d'écrans, l'ensemble des personnage nous est présenté par Almodóvar comme un groupe de cobayes. Le cinéaste filme leurs comportements comme s'il s'agissait de rats de laboratoire, lesquels, confrontés les uns aux autres, révèlent leurs plus bas instincts. Vision extrêmement pessimiste de l'âme humaine, le film rejoint l'univers d'un Paul Verhoeven, dans la mesure où nos actes, intéressés, cruels ou vengeurs, ne relèvent que d'une pulsion sexuelle animale. L'irruption, assez brève, d'un personnage déguisé en tigre, en est la manifestation la plus crue et la plus évocatrice : le type costumé neutralise sa propre mère (Marisa Paredes) pour aller commettre un assaut sexuel sur Vera. Vision sidérante d'un quadruple viol, au sens propre comme au sens figuré : l'homme pénètre de force la propriété du chirurgien, bafoue la figure maternelle, brise l'entrée du sanctuaire de Vera, avant de l'agresser. Symptôme d'une noirceur plus terrible encore, l'issue de ce multiple viol aura un amer goût de sang.

La morale désespérée du film pourrait bien se résumer ainsi : on ne peut combattre le mal que par un mal encore plus grand. La structure de La Piel que habito épouse à ce titre la forme malade d'un cercle vicieux, filmé comme un huis clos oppressant. Théâtre claustrophobe, où le malsain rivalise avec l'horrible. Mais la force d'Almodóvar, c'est la fascination sans bornes qu'il parvient à nous faire éprouver face au sordide. La facture audio-visuelle de son film, aussi élégante qu'irréprochable, nous hypnotise constamment. Douceur de velours des mouvements de caméra, pureté du montage, splendeur glacée de la photographie... Le spectacle dépasse le dégoût que son contenu pourrait susciter, par la beauté perverse de la forme. La Piel que habito se présente comme un objet obscur de désir cinéphile, encore une fois à l'image de Vera, la femme idéale, belle à se damner. Tout comme elle se laisse caresser par son geôlier-chirurgien, nous laissons les images magnétiques d'Almodóvar nous caresser les mirettes. Dès son titre,le film nous invite littéralement à venir habiter la peau de chacun de ses personnages, dans un jeu de rôles éprouvant, à la fois hors normes et intimiste. Une expérience charnelle extrême et puissante, qui ne finira jamais de nous éclairer, autant que de nous troubler, sur notre propre part d'ombre. Sobresaliente !

4sur5 

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22 juillet 2011 5 22 /07 /juillet /2011 19:22

the murderer

Alors qu'Hollywood tourne en rond, souffrant d'un grave syndrome de redite, le cinéma coréen fait preuve d'une rage créative absolument enthousiasmante. Il y a quelques semaines, Kim Jee-woon nous tétanisait sur nos sièges avec son inoubliable et barbare J'ai rencontré le Diable. C'est au tour de Hong-jin Na, auteur de The Chaser, de s'imposer à travers un véritable coup de maître, une nouvelle référence dans le genre du thriller.

The Murderer nous relate le périple de Gu-nam, un homme dans le besoin, acceptant pour sa survie de commettre un meurtre. Mais lorsque la situation dégénère, quelqu'un commettant la tuerie à sa place, il découvre qu'il est l'objet d'une machination infernale, traqué à la fois par les autorités et les commanditaires du meurtre. A la manière d'un conte cruel, découpé en quatre chapitres distincts, le film met en scène la lutte d'un être radicalement solitaire, sans attaches, pour sa survie. Sa position dans le cadre, toujours précaire, toujours menacée, le plonge dans un tourbillon terrifiant de dangers et de mort. Rivée à Gu-nam, la caméra fébrile de Hong-jin Na se fait le complice, le témoin privilégié de sa traque. The Murderer se construit comme une longue et éprouvante course-poursuite que l'on devine perdue d'avance (comment un seul homme pourrait-il échapper à une armée de limiers lancée à ses trousses ?), mais toujours portée par une tension palpable, viscérale, renforcée par la peinture cauchemardesque d'une Corée tentaculaire et chaotique, d'où la mort peut surgir n'importe quand, n'importe où. Du centre-ville bondé de Séoul aux paysages mornes d'une campagne désertée, The Murderer aligne des morceaux de bravoure fracassants à travers une longue série de traques démentielles, aussi bien sur le plan audio-visuel (prises de vue furieuses, bande-son traumatisante de réalisme) que sensationnel. Presque dépourvu de dialogues, toujours porté sur l'action et sa représentation la plus pure, le film de Hong-jin Na dégage une puissance d'évocation que l'on n'est pas prêt d'oublier. Expérience cinématographique radicale, physique, le périple éprouvant de Gu-nam bouleverse et martyrise nos sens avec une force qu'on aimerait retrouver plus souvent dans nos salles obscures.

Mais au-delà de l'âpreté, au-delà de l'ultra-violence dont le film fait souvent preuve, au-delà de l'ouragan de cris et de sang qui nous emporte, c'est une compassion discrète, diffuse, touchante, qui finit par nous gagner. On s'attache paradoxalement au personnage de Gu-nam à travers sa solitude, la perte progressive de ses repères et objets d'attachement. Ainsi le scénario vient-il mêler à son contrat sordide la recherche affligée de son épouse perdue. Rejoignant le monstrueux héros de J'ai rencontré le Diable dans l'expérience douloureuse de la perte, Gu-nam incarne un fragment ténu d'humanité, jeté dans un torrent de haine, luttant moins pour rester en vie que pour rester humain. Mourir en homme plutôt que vivre comme un chien. Telle pourrait être la morale amère de ce conte à la noirceur troublante. Une nouvelle pépite du cinéma coréen qui vient prouver une fois encore qu'un thriller, ou plus généralement un film, n'est rien s'il ne présente pas un visage humain. Le suspense, les poursuites, les armes et autres explosions, c'est efficace bien sûr, mais la sauce ne prendrait pas sans le ciment puissant d'un vrai drame, au sens premier du terme. Hollywood ferait bien d'en prendre de la graine !

4,5sur5

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7 juillet 2011 4 07 /07 /juillet /2011 14:30

j'ai rencontré le diable

Une camionnette, au rétroviseur intérieur décoré par deux ailes d'ange, sillonne la nuit enneigée. Le conducteur croise une jeune femme, dont la voiture est en panne. Il lui propose son aide, elle refuse, préfère attendre l'arrivée de la dépanneuse. L'homme fait mine de partir, avant d'agresser sauvagement la jeune femme, qu'il emmène à son repaire pour la torturer, puis la découper en morceaux. Le fiancé de la morte, fou de douleur, se lance dans la traque du tueur, se promettant de le faire souffrir au centuple pour ce qu'il a fait endurer à sa promise assassinée...

J'ai rencontré le Diable n'est pas vraiment un énième film de vengeance, comme pourrait le suggérer son scénario en apparence simpliste, car Kim Jee-woon se paie le luxe, à travers 2h20 traumatisantes de douleur et d'émotions viscérales, de nous livrer un sérieux prétendant au titre de meilleur film de vengeance de tous les temps. Transcendant littéralement son intrigue par une exploration éprouvante des abysses de l'âme humaine, l'auteur des excellents Deux Sœœurs et A bittersweet life, accouche ici d'un chef-d'œ’œuvre absolu de noirceur, un thriller cauchemardesque dont les scènes de tortures -– insoutenables -– se voient toujours contrebalancées par l'amertume et la tristesse, plus fortes que tout. Le héros vengeur, Kim Soo-hyeon, incarné par un Lee Byung-Hun effrayant et bouleversant, devient un monstre traqueur de monstres, une sorte de Dexter coréen, à ceci près que sa pulsion meurtrière n'est pas méthodique, mais chaotique, sans cesse provoquée par la fraîche douleur de la perte. A la différence de Dexter, Kim est aveuglé par sa rage, il ne la contrôle pas. Le « Diable » du titre, que l'on identifie dans un premier temps au tueur, pourrait alors aussi bien qualifier le personnage éploré de Kim, véritable ange déchu. Dans cette optique, le titre du film est à double tranchant, « I saw the Devil » pouvant se traduire aussi bien par « J'ai vu / rencontré le Diable », que par « Je charcute le Diable ». La frontière entre monstre et victime se trouble.

Mais c'est surtout la vision du visage angélique de l'acteur, peu à peu dévoré par la flamme destructrice de la vengeance, qui procure chez le spectateur un malaise, plus vif encore que celui des séquences de torture. Contrairement au meurtrier, Kim n'éprouve aucun plaisir, il répond à la douleur par une douleur plus grande encore. Tout le film est bâti comme un cercle vicieux, infernal, où la souffrance engendre la souffrance, mais pas de manière complaisante, comme le fait souvent le cinéma gore : J'ai rencontré le Diable emprunte les voies de la pure tragédie. Filmant l'affrontement éprouvant de deux monstres, l'un avéré, l'autre en devenir, comme un face-à-face tragique, Kim Jee-woon dépasse le genre gore, le hissant parfois vers une représentation christique (le corps de plus en plus mutilé du tueur, la résignation de Kim à embrasser la noirceur pour mieux en triompher). J'ai rencontré le Diable se révèle comme l'une des explorations cinématographiques les plus rudes et les plus captivantes du Mal.

Avec cette ambition dantesque de montrer frontalement toutes les facettes du mal le plus absolu, Kim Jee-woon lui donne d'abord un visage de cauchemar, celui de l'acteur Min-sik Choi, effrayant de folie sanguinaire dans la peau du tueur Kyung-chul, avant d'en explorer les continents les plus sordides (meurtres barbares et viols à répétition, affrontement dans la maison d'un assassin cannibale, mutilation à petit feu de Kyung-chul...). Le réalisateur ne nous épargne aucun détail -– membres tranchés, brisés, arrachés, déformations corporelles, sang répandu par dizaines de litres -– mais toujours dans le souci paradoxal d'une esthétique du Mal, répugnante, baroque, parfois grotesque, mais toujours fascinante. Nulle beauté ici, mais une sidération constante, une hallucination douloureuse face aux ravages tragiques de la barbarie humaine. Rarement un cinéaste nous aura autant rapprochés de l'horreur, de la monstruosité. Rarement un film nous aura autant infusé le goût du sang. Expérience cathartique extrême, viscérale et audacieuse, J'ai rencontré le Diable ne caresse certainement pas son spectateur dans le sens du poil. Bien au contraire, il le confronte avec brutalité à ses instincts les plus inavouables pour mieux l'en écarter. La vengeance, loin d'être glorifiée, nous est montrée comme une impasse radicale. Kim Jee-woon, repousse l'horreur et son (in)humanité vers leurs ultimes limites, pour nous faire alors le don inespéré de quelques fragments de légèreté salutaire, où l'humour et parfois le rire reviennent affleurer à la surface d'un océan de sang et de larmes. Quant à savoir s'il s'agit du rire du désespoir ou de la cruauté, c'est là toute la part d'indicible que nous offre, dans son sillage inoubliable de violence et de mort, ce grand film malade...

5sur5

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9 mai 2010 7 09 /05 /mai /2010 02:52

el-secreto-de-sus-ojos

La caméra part du ciel pour plonger en piqué vers un stade de foot, rempli de supporters. Le travelling, vertigineux, devient un plan rapproché, filmé à l'épaule, sur Benjamin, le personnage principal, à la recherche d'un suspect. On suit alors les déplacements du protagoniste et d'un collègue de travail, Pablo, à travers la foule en délire. Pablo repère le suspect, qui prend la fuite. La poursuite s'engage dans les gradins, puis dans les couloirs du stade. Un court arrêt dans des toilettes, où Pablo se fait agresser, et la course reprend, effrénée, pour se terminer au milieu du stade : le suspect, blessé, finit par s'effondrer dans le gazon, la matraque d'un vigile lui écrase la joue. Ce plan séquence, hallucinant de nervosité, d'une virtuosité technique à couper le souffle, donne un parfait aperçu des nombreuses qualités du film de Juan José Campanella, Dans ses yeux. Autour de ce morceau de bravoure central, véritable bijou de mise en scène, le film se déploie dans une généreuse diversité de tons et de genres. Polar efficace, histoire d'amour bouleversante de pudeur, comédie irrésistible, le film fait mouche sur tous les plans.

L'histoire donne une belle continuité à deux époques différentes. En 1974, Benjamin Exposito enquête sur le meurtre sauvage d'une jeune femme, Liliana, à Buenos Aires : le meurtrier est arrêté (difficilement), mais finit par être relâché par le gouvernement fraîchement installé. Vingt-cinq ans plus tard, Benjamin (incandescent Ricardo Darin) revit le cauchemar de cette sombre affaire en essayant d'en écrire le roman. Parfois trop bavard, parfois trop lent, Dans ses yeux parvient tout de même à susciter un intérêt constant, aménageant des zones d'ombres, de mystères, au sein de son récit, le rendant globalement palpitant sur toute sa durée (2h10). Le va-et-vient permanent entre les deux époques, sans transitions, installe une mélancolie, entretient une réelle angoisse du temps qui rend les personnages d'autant plus attachants. L'amour impossible entre Benjamin et sa patronne (sublime Soledad Villamil) finit par bouleverser, par son romantisme discret, pudique, mais touchant. Les scènes avec Pablo, son collègue de tribunal (hilarant Guillermo Francella), offrent de grands instants de comédie, où le rire finit momentanément par triompher de l'horreur, sans pour autant l'occulter, car c'est bien à une tragédie que l'on a affaire. Des personnages meurent, sans crier gare, le deuil est partout, la douleur des pertes rappelant celle d'un pays souffrant des agissements violents de ses dirigeants (José Lopez Rega et la constitution de groupes paramilitaires).

La question du traumatisme, au cœœur du film, interroge avec rage le problème de l'auto-justice. La révélation finale, à glacer le sang, met en scène une alternative monstrueuse à l'inhumaine peine de mort. On constate alors avec effarement qu'il existe des solutions plus vicieuses encore que l'exécution. La barbarie des uns entraîne la haine destructrice des autres. Jusqu'où peut-on aller pour venger la mort scandaleuse d'un proche ? Le sort que réserve le mari de Liliana à son assassin est effrayant. Un supplice interminable de vingt-cinq ans... Une vision d'horreur à donner des cauchemars.

Malgré ses quelques longueurs et son bavardage parfois agaçants, Dans ses yeux marque durablement l'esprit et les sens du spectateur. Moins « parfait » que Le Ruban blanc ou Un Prophète, le film de Campanella n'a pourtant pas volé son Oscar, rayonnant d'une sincérité rageuse, d'audaces visuelles bienvenues et d'une pudeur magnifique, qui le rendent extrêmement attachant.

3,5sur5

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6 mai 2010 4 06 /05 /mai /2010 04:06

brooklyn

L'Amérique est malade. Malade de la violence qui la ronge. Malade du théâtre cruel de ses rues. Malade de ses espérances mutilées. Le constat passe pour un pur cliché, un lieu commun tellement rebattu qu'il finit par lasser ou passer à côté de la plaque (Precious et son délire de persécution outrancièrement larmoyant, par exemple). Évitant en permanence de sombrer dans le recyclage tranquille, L'Élite de Brooklyn se révèle surprenant, dans la mesure où il dynamite littéralement les clichés liés au malaise américain. Sa méthode ? La peinture frontale, âpre et sans concession d'une société à l'agonie, qui perd tous les jours un peu plus les pédales. Pas de larmes, pas de pitié, pas de complaisance, pas de jugement : une noirceur sans fard, à l'état brut, taillée dans la chair de l'horreur, brandie telle quelle devant les yeux du spectateur.

Trois policiers, trois histoires. Sal (Ethan Hawke) est un père de famille désespéré par la précarité de son foyer. Eddie (Richard Gere) est un paumé, à une semaine de la retraite, séparé de sa femme, client régulier d'une prostituée qu'il rêve de libérer, fermant lâchement les yeux sur les horreurs du monde. Tango (Don Cheadle) est un flic infiltré dans un gang, qui ne supporte plus sa double vie, terrifié par son penchant de plus en plus prononcé pour les méthodes mafieuses, luttant constamment pour rester humain. Les trois personnages ne se rencontrent jamais réellement, se croisant furtivement à deux ou trois reprises, mais l'imbrication de leurs existences par le scénario et le montage du film parvient à créer un lien puissant entre eux. S'ils sont visuellement séparés, l'intrigue les place dans un prolongement quasi poétique, les réunissant autour d'une quête commune, la quête d'un mieux-être. Pas vraiment une rédemption (même le personnage pieux que joue Ethan Hawke n'y croit pas), juste une vie meilleure, loin de leur quotidien d'horreur et de sang. Mais cette horreur, ce sang, les dépassent, les écrasent toujours, comme une prison tragique.

Le scénario enferme les trois protagonistes dans une spirale mortifère, construite au gré d'audacieuses et magnifiques séquences montées en parallèle. On avance dans la noirceur inexorable, en aveugles, comme sombrant dans une profonde mare de goudron. Plus on s'approche du dénouement, plus la nuit tombe. Les cadavres s'amoncellent dans les rues. Le décor entier est une menace, la mort frappant partout, sans crier gare. L'angoisse suinte au fil de travellings fantomatiques rivés à des personnages haletants, fatigués, en bout de course. La scène finale, ahurissant carnage où le sang coule à flots, sombre et poisseux, où les corps se cassent, se trouent et s'effondrent, n'est plus qu'une esquisse d'ombres opaques et de lueurs floues, aveuglantes. La prétendue lumière blanche de la mort n'est plus qu'une aura dérisoire.

L'Élite de Brooklyn, avec son titre tristement cynique, sa mise en scène élégamment carnassière, ses acteurs écorchés (tous convaincants), se contemple d'abord comme une peinture des maux de l'Amérique actuelle. La vision ultra-violente d'un pays angoissé, sous la forme d'un impeccable polar. Rarement la noirceur aura eu droit à un écrin si amer, si hypnotique. Quand on sait qu'Antoine Fuqua est capable du pire (Les Larmes du soleil, Le Roi Arthur), on ne peut que se délecter de cette excellente surprise.

4sur5

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6 mai 2010 4 06 /05 /mai /2010 02:06

vincent elbaz

D'accord, Comme les cinq doigts de la main n'est pas un chef-d'œœuvre. D'accord, le scénario n'est qu'une simple histoire de vengeance entre deux générations. D'accord, l'ensemble manque parfois d'intensité et n'évite pas toujours les clichés rebattus sur la famille juive. Mais je me dois de protester contre le lynchage critique intégral que subit le nouveau film d'Alexandre Arcady. Il est évident que la générosité se fait de plus en plus rare à l'heure actuelle. Quelle tristesse !

Généreux, Comme les cinq doigts de la main l'est indéniablement. Le réalisateur de la saga du Grand Pardon nous offre en effet le portrait terriblement attachant d'une famille prête à tout pour sauver l'un des siens, traqué par la mafia et les autorités. L'identification fonctionne en permanence, au-delà d'un univers culturel et religieux très codifié, grâce à une admirable direction d'acteurs. Les protagonistes -– les cinq frères du titre -– crèvent l'écran : Patrick Bruel impressionne dans son rôle d'aîné ; Vincent Elbaz se montre d'une grande justesse à travers la culpabilité et la noirceur qui le rongent ; Pascal Elbé, Éric Caravaca et Mathieu Delarive forment avec sincérité un trio fraternel dépassé par les horreurs qui s'abattent sur leurs proches. Le charisme des personnages secondaires n'a rien à envier à ce beau quintette : Michel Aumont incarne avec brio un traître pathétique sous des apparences de puissance, Caterina Murino et Françoise Fabian, dans leurs rôles respectifs d'épouse et de mère, apportent une bouleversante  aura féminine, contrepoint à un univers masculin qui ne connaît que la guerre. Alexandre Arcady est un maître dans la peinture des relations familiales, ponctuant ses tableaux intimistes de sublimes gros plans, à fleur de peau, donnant à la chair angoissée ou aimante un grain palpable, troublant.

C'est une pure tragédie, au sens grec du terme, que tissent les personnages, victimes ou maîtres dérisoires de leur destin. Dès les premières images, un bouc-émissaire est désigné. Tout le film peut alors se résumer à la trajectoire inéluctable qui le conduira à sa perte. Les innombrables efforts et sacrifices, entrepris pour éviter le pire, sont d'emblée voués à l'échec, mais apparaissent par là-même comme porteurs d'une grandeur paradoxale. Dans la spirale infernale du mal, il n'est pas question de victoire ou de défaite. Survivre y représente un véritable acte de foi. La morale se consume dans un honneur aveuglément défendu. Vision d'un monde où les larmes et le sang forgent des âmes aussi belles que terribles.

Alexandre Arcady s'est fait injustement lyncher pour avoir mis en scène, dans un cadre réaliste et moderne, ces valeurs jugées vieillottes, voire réactionnaires. Mais pourquoi ce système de valeurs devrait-il forcément se limiter aux seules grandes épopées, qui ont été son premier écrin ? Pourquoi taxer d'archaïsme un réalisateur fasciné par les archétypes de la mentalité latine ? Pourquoi ne pourrait-on apprécier la peinture de cette mentalité que dans le théâtre grec et pas dans les salles obscures ? Le regard porté sur les films souffre-t-il à ce point du jeunisme pour se fermer à un thème aussi ample et aussi ancien ? Ou bien, au contraire, devient-il trop snob ? A trop encenser un modernisme forcené du cinéma, nous risquons de nous éloigner dangereusement de nos fondements culturels. Je ne prône pas ici une régression des films (nombre d'œœuvres novatrices sont des merveilles), mais j'estime qu'il est stupide de nier que l'on peut encore faire de bons plats dans de vieilles casseroles, pour reprendre l'adage populaire. La vendetta est certes un thème classique et éculé, mais ne nous voilons pas la face, il faut bien reconnaître qu'il nous fascine encore, parce qu'il est universel, parce qu'il incarne et exorcise notre part d'ombre. En évitant heureusement l'écueil de l'apologie, Arcady reste tout simplement fidèle aux principes de son cinéma. Son nouveau film, imparfait mais sincère, mérite, à l'image de son héros tragique, une rédemption. Comment diable peut-on rester de marbre face à la poignante scène finale, où la mort et l'espoir se côtoient si amèrement, où la plus humaine des tristesses éclate dans l'indicible le plus touchant ?

3,5sur5

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23 avril 2010 5 23 /04 /avril /2010 20:56

jones13

Film de gangsters typique, portrait du bras droit de John Dillinger, surnommé malgré lui Baby Face Nelson, à cause de son visage poupin. Michael Mann s'est assurément beaucoup inspiré de ce film de Don Siegel pour son Public Enemies, allant jusqu'à copier au plan près une scène de fusillade autour d'un chalet en pleine forêt. La nervosité du protagoniste, véritable électron libre, imprévisible, contamine toute l'intrigue et son déroulement, grâce à la formidable prestation de Mickey Rooney, star hollywoodienne de l'époque. Loin de tout manichéisme, la mise en scène des gangsters se pare d'une troublante ambiguïté : sous les gueules d'anges se cachent de véritables démons.

3,5sur5

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