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6 mai 2010 4 06 /05 /mai /2010 04:06

brooklyn

L'Amérique est malade. Malade de la violence qui la ronge. Malade du théâtre cruel de ses rues. Malade de ses espérances mutilées. Le constat passe pour un pur cliché, un lieu commun tellement rebattu qu'il finit par lasser ou passer à côté de la plaque (Precious et son délire de persécution outrancièrement larmoyant, par exemple). Évitant en permanence de sombrer dans le recyclage tranquille, L'Élite de Brooklyn se révèle surprenant, dans la mesure où il dynamite littéralement les clichés liés au malaise américain. Sa méthode ? La peinture frontale, âpre et sans concession d'une société à l'agonie, qui perd tous les jours un peu plus les pédales. Pas de larmes, pas de pitié, pas de complaisance, pas de jugement : une noirceur sans fard, à l'état brut, taillée dans la chair de l'horreur, brandie telle quelle devant les yeux du spectateur.

Trois policiers, trois histoires. Sal (Ethan Hawke) est un père de famille désespéré par la précarité de son foyer. Eddie (Richard Gere) est un paumé, à une semaine de la retraite, séparé de sa femme, client régulier d'une prostituée qu'il rêve de libérer, fermant lâchement les yeux sur les horreurs du monde. Tango (Don Cheadle) est un flic infiltré dans un gang, qui ne supporte plus sa double vie, terrifié par son penchant de plus en plus prononcé pour les méthodes mafieuses, luttant constamment pour rester humain. Les trois personnages ne se rencontrent jamais réellement, se croisant furtivement à deux ou trois reprises, mais l'imbrication de leurs existences par le scénario et le montage du film parvient à créer un lien puissant entre eux. S'ils sont visuellement séparés, l'intrigue les place dans un prolongement quasi poétique, les réunissant autour d'une quête commune, la quête d'un mieux-être. Pas vraiment une rédemption (même le personnage pieux que joue Ethan Hawke n'y croit pas), juste une vie meilleure, loin de leur quotidien d'horreur et de sang. Mais cette horreur, ce sang, les dépassent, les écrasent toujours, comme une prison tragique.

Le scénario enferme les trois protagonistes dans une spirale mortifère, construite au gré d'audacieuses et magnifiques séquences montées en parallèle. On avance dans la noirceur inexorable, en aveugles, comme sombrant dans une profonde mare de goudron. Plus on s'approche du dénouement, plus la nuit tombe. Les cadavres s'amoncellent dans les rues. Le décor entier est une menace, la mort frappant partout, sans crier gare. L'angoisse suinte au fil de travellings fantomatiques rivés à des personnages haletants, fatigués, en bout de course. La scène finale, ahurissant carnage où le sang coule à flots, sombre et poisseux, où les corps se cassent, se trouent et s'effondrent, n'est plus qu'une esquisse d'ombres opaques et de lueurs floues, aveuglantes. La prétendue lumière blanche de la mort n'est plus qu'une aura dérisoire.

L'Élite de Brooklyn, avec son titre tristement cynique, sa mise en scène élégamment carnassière, ses acteurs écorchés (tous convaincants), se contemple d'abord comme une peinture des maux de l'Amérique actuelle. La vision ultra-violente d'un pays angoissé, sous la forme d'un impeccable polar. Rarement la noirceur aura eu droit à un écrin si amer, si hypnotique. Quand on sait qu'Antoine Fuqua est capable du pire (Les Larmes du soleil, Le Roi Arthur), on ne peut que se délecter de cette excellente surprise.

4sur5

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6 mai 2010 4 06 /05 /mai /2010 02:06

vincent elbaz

D'accord, Comme les cinq doigts de la main n'est pas un chef-d'œœuvre. D'accord, le scénario n'est qu'une simple histoire de vengeance entre deux générations. D'accord, l'ensemble manque parfois d'intensité et n'évite pas toujours les clichés rebattus sur la famille juive. Mais je me dois de protester contre le lynchage critique intégral que subit le nouveau film d'Alexandre Arcady. Il est évident que la générosité se fait de plus en plus rare à l'heure actuelle. Quelle tristesse !

Généreux, Comme les cinq doigts de la main l'est indéniablement. Le réalisateur de la saga du Grand Pardon nous offre en effet le portrait terriblement attachant d'une famille prête à tout pour sauver l'un des siens, traqué par la mafia et les autorités. L'identification fonctionne en permanence, au-delà d'un univers culturel et religieux très codifié, grâce à une admirable direction d'acteurs. Les protagonistes -– les cinq frères du titre -– crèvent l'écran : Patrick Bruel impressionne dans son rôle d'aîné ; Vincent Elbaz se montre d'une grande justesse à travers la culpabilité et la noirceur qui le rongent ; Pascal Elbé, Éric Caravaca et Mathieu Delarive forment avec sincérité un trio fraternel dépassé par les horreurs qui s'abattent sur leurs proches. Le charisme des personnages secondaires n'a rien à envier à ce beau quintette : Michel Aumont incarne avec brio un traître pathétique sous des apparences de puissance, Caterina Murino et Françoise Fabian, dans leurs rôles respectifs d'épouse et de mère, apportent une bouleversante  aura féminine, contrepoint à un univers masculin qui ne connaît que la guerre. Alexandre Arcady est un maître dans la peinture des relations familiales, ponctuant ses tableaux intimistes de sublimes gros plans, à fleur de peau, donnant à la chair angoissée ou aimante un grain palpable, troublant.

C'est une pure tragédie, au sens grec du terme, que tissent les personnages, victimes ou maîtres dérisoires de leur destin. Dès les premières images, un bouc-émissaire est désigné. Tout le film peut alors se résumer à la trajectoire inéluctable qui le conduira à sa perte. Les innombrables efforts et sacrifices, entrepris pour éviter le pire, sont d'emblée voués à l'échec, mais apparaissent par là-même comme porteurs d'une grandeur paradoxale. Dans la spirale infernale du mal, il n'est pas question de victoire ou de défaite. Survivre y représente un véritable acte de foi. La morale se consume dans un honneur aveuglément défendu. Vision d'un monde où les larmes et le sang forgent des âmes aussi belles que terribles.

Alexandre Arcady s'est fait injustement lyncher pour avoir mis en scène, dans un cadre réaliste et moderne, ces valeurs jugées vieillottes, voire réactionnaires. Mais pourquoi ce système de valeurs devrait-il forcément se limiter aux seules grandes épopées, qui ont été son premier écrin ? Pourquoi taxer d'archaïsme un réalisateur fasciné par les archétypes de la mentalité latine ? Pourquoi ne pourrait-on apprécier la peinture de cette mentalité que dans le théâtre grec et pas dans les salles obscures ? Le regard porté sur les films souffre-t-il à ce point du jeunisme pour se fermer à un thème aussi ample et aussi ancien ? Ou bien, au contraire, devient-il trop snob ? A trop encenser un modernisme forcené du cinéma, nous risquons de nous éloigner dangereusement de nos fondements culturels. Je ne prône pas ici une régression des films (nombre d'œœuvres novatrices sont des merveilles), mais j'estime qu'il est stupide de nier que l'on peut encore faire de bons plats dans de vieilles casseroles, pour reprendre l'adage populaire. La vendetta est certes un thème classique et éculé, mais ne nous voilons pas la face, il faut bien reconnaître qu'il nous fascine encore, parce qu'il est universel, parce qu'il incarne et exorcise notre part d'ombre. En évitant heureusement l'écueil de l'apologie, Arcady reste tout simplement fidèle aux principes de son cinéma. Son nouveau film, imparfait mais sincère, mérite, à l'image de son héros tragique, une rédemption. Comment diable peut-on rester de marbre face à la poignante scène finale, où la mort et l'espoir se côtoient si amèrement, où la plus humaine des tristesses éclate dans l'indicible le plus touchant ?

3,5sur5

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3 mai 2010 1 03 /05 /mai /2010 21:47

brazilgilliam-11

Quelque part au XXème siècle, Sam Lowry (Jonathan Pryce), modeste employé du Ministère de l'Information, tente d'oublier son morne quotidien dans le monde du rêve. Ses désirs d'évasion se heurtent rapidement à l'oppression d'un système administratif tentaculaire. Sorti en 1985, Brazil reste à ce jour l'un des films d'anticipation les plus ambitieux de toute l'histoire du cinéma, aux côtés de Metropolis (Fritz Lang) et de Blade Runner (Ridley Scott). Scénario sophistiqué jusqu'au délire, esthétique aussi grandiose que novatrice, rythme survolté digne des meilleurs cartoons de Tex Avery, force d'évocation trouvant ses racines dans l'expérience traumatisante des totalitarismes, univers marqué par les récits dépressifs de Kafka et d'Orwell. Le film de Terry Gilliam est presque inclassable, à la fois histoire d'amour, intrigue judiciaire, policière et comédie fantastique, oscillant constamment entre un onirisme libérateur et un réel cauchemardesque.

Dès la première scène, le cinéaste nous plonge au cœœur d'un monde chaotique : une bombe, posée par des terroristes anonymes, explose dans la vitrine d'un magasin de télévision, dont les écrans diffusent des messages de propagande du gouvernement. La scène suivante met en place l'enjeu principal du drame : une erreur de frappe sur un formulaire d'arrestation (à cause d'une mouche tombée dans l'imprimante) entraîne l'arrestation et l'élimination d'un innocent, avant de mêler Sam Lowry dans une machination judiciaire infernale. Vision kafkaïenne d'une fausse justice, symbolisée par des décors renvoyant directement à l'architecture nazie, ses bâtiments austères et gigantesques, ses statues d'aigles, ses régiments prétoriens terrorisant des populations soumises et silencieuses. Les interventions armées visant à arrêter les opposants au système rappellent celles de la Gestapo. Le contrôle absolu de l'information, la propagande et la censure draconiennes évoquent les principes des régimes totalitaires, s'inspirant du célèbre roman 1984 de George Orwell. Les perspectives vertigineuses, tout comme les plans filmés avec une rageuse caméra portée, nous immergent dans ce monde oppressant jusqu'au malaise. Derrière son masque de comédie burlesque, Brazil se révèle hautement effrayant. Les lieux sont inextricables, labyrinthiques, parcourus par une jungle d'énormes tuyaux, le cadre est encombré, saturé de détails, le moindre déplacement dans le plan constitue une véritable épreuve, à cause de l'inquiétante omniprésence de formulaires, de procédures judiciaires infinies.

Face au poids écrasant de ce système, face à la pression intolérable exercée sur lui par son entourage (mère possessive, patron esclavagiste), Sam Lowry se réfugie dans un monde où personne ne peut l'atteindre, un sanctuaire intime échappant à tout contrôle extérieur, celui des rêves. Le personnage nous est présenté d'emblée comme un grand rêveur amoureux, romantique : dans le plan qui l'introduit, il apparaît sous les traits d'un chevalier ailé, planant au-dessus d'une mer de nuages, où flotte l'image de sa bien-aimée, Jill, une ravissante jeune femme à la chevelure d'or, qu'il retrouve par hasard dans le monde réel. Inversement, des éléments de ce monde réel apparaissent dans l'univers onirique de Sam (son patron sous la forme d'un golem), tout comme des éléments relevant du cauchemar : blocs de pierre surgissant du sol en éventrant la terre, monstres aux faciès de nouveaux-nés retenant par des cordes une cage où Jill est enfermée. Séquence mémorable : un combat à l'épée opposant Sam à un gigantesque samouraï, projection fantasmatique de tout ce que combat le petit fonctionnaire dans le monde réel, y compris lui-même. Lorsqu'il arrache le masque du guerrier oriental, c'est son propre visage qu'il contemple. Les rêves cessent peu à peu d'être des exutoires, pour devenir un lieu de lutte contre une réalité écrasante qui empêche d'aimer, de s'affirmer, de vivre comme un homme.

Si la frontière est nette au début du film, elle s'efface progressivement. Les dimensions se mélangent en un véritable délire de cinéma. Le rêve finit par emprunter ses décors au réel et vice versa. Perdu dans l'inconscient chaotique de Sam Lowry, le spectateur assiste à un déchaînement intérieur, exprimé à l'écran par une folle exubérance technique : maquettes, animation, effets pyrotechniques, incrustations, matte-paintings, travellings vertigineux, parataxes de plans, lumières stroboscopiques, partition endiablée de Michael Kamen... Dans cette atmosphère irréelle, la logique n'existe plus, l'invraisemblable et le fantasme régissent la perception. Seuls les rêves, notre part d'humanité la plus profonde, la plus intime, restent incontrôlables.

Au-delà de son statut de comédie fantastique, par sa virtuosité technique et esthétique, Brazil est une monumentale leçon de cinéma, une ode à la liberté aux accents surréalistes, une délirante exploration de notre inconscient, la somptueuse peinture d'un univers fantasmagorique, une virulente critique du totalitarisme, mais surtout une superbe histoire d'amour ne trouvant son accomplissement que dans l'inviolable écrin des rêves.

5sur5

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1 mai 2010 6 01 /05 /mai /2010 02:12

Iron-Man-2-Whiplash

Iron Man 2 commence là où finissait le premier opus : Tony Stark révèle au monde sa double vie de super-héros. Lui et son armure ne font qu'un. Il subit alors les pressions du gouvernement américain, qui convoite son invention, et le désir de vengeance d'un obscur scientifique russe, dont le père a été victime de la famille Stark par le passé. Que Tony, le milliardaire narcissique et cardiaque, expose son identité héroïque constituait un bon dénouement pour le précédent épisode. C'est tout le scénario du second volet qui est basé sur cette révélation et c'est là, peut-être, sa plus grande faiblesse.

Tout étant déjà dit, l'intérêt dramatique est au plus bas dès les premières minutes. Pire, on reprend les mêmes ingrédients et on recommence : ainsi, le combat final contre le méchant russe Ivan Vanko en armure indestructible (Mickey Rourke, sous-exploité) est un simple copié-collé de l'une des dernières scènes de l'épisode précédent, qui opposait Robert Downey Jr et Jeff Bridges. Le scénario se construit selon un schéma binaire lassant, alternant scènes atrocement bavardes aux dialogues épileptiques et scènes d'action bâclées offrant, via un festival d'effets spéciaux certes impressionnants (signés ILM), une débauche de spectaculaire gratuit à la limite du supportable. Faire tout sauter et pousser le caisson de graves jusqu'au délire n'ont jamais fait un bon film d'action.

Iron Man 2 souffre d'un montage schizophrène, où le bavardage l'emporte haut la main. Le film se cherche sans jamais trouver son identité, ce que son prédécesseur avait plutôt bien réussi. Ici, les scénaristes semblent hésiter constamment entre raconter la suite des aventures de Tony Stark et installer l'intrigue des Vengeurs. Résultat : la sauce ne prend jamais. L'épopée de l'homme d'acier devient trop superficielle, oubliant totalement ses seconds rôles, simplifiant à outrance la psychologie et les questionnements de son héros, s'abandonnant à une vaine surenchère pour tenter de faire oublier ses lacunes. Quant à l'annonce du projet des Vengeurs, elle ne repose que sur les apparitions anecdotiques de Nick Fury (Samuel L. Jackson) et la maigre présence de la Veuve Noire (Scarlett Johansson), limitée à quelques courts dialogues et une scène de combat vite expédiée (comme toutes les scènes de combat du film). Un casting de haut vol honteusement gâché.

Seules la mise en scène, plutôt dynamique, et l'ironie, plus présente que jamais, parviennent à donner une certaine efficacité à un ensemble qui ne restera qu'une longue bande-annonce du prochain film consacré aux Vengeurs. Pas aussi mauvais que le récent Choc des titans, mais pas impérissable. Pour retrouver un vrai plaisir de cinéma, retournons voir le formidable Kick-Ass, sorti une semaine plus tôt. Moins de moyens, mais quelle audace et quelle inventivité ! Espérons que Les Vengeurs se révèlera plus fracassant que les films qui l'annoncent...

2sur5

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29 avril 2010 4 29 /04 /avril /2010 04:12

curiouscaseofbenjaminbutton

Comment le réalisateur de Fight Club et Alien 3, le spécialiste du thriller et du fantastique torturés, a-t-il pu se retrouver aux commandes d'une fresque hollywoodienne aussi poignante que L'Étrange Histoire de Benjamin Button ? Si la production américaine nous réserve souvent de mauvaises surprises (rencontre ratée entre Tim Burton et Lewis Carroll), elle nous livre parfois des expériences de cinéma miraculeuses. Ainsi, lorsque David Fincher adapte une nouvelle de Francis Scott Fitzgerald, où le protagoniste naît vieux pour rajeunir au fur et à mesure qu'il se rapproche de sa mort, c'est à un vrai bijou romanesque, doté d'une mise en scène bouleversante, que l'on a affaire.

Le cinéaste prend son temps (2h40) pour nous raconter la vie singulière de Benjamin Button. Le rythme est langoureux, épousant harmonieusement la mélancolie déchirante de chaque scène, mais dépourvu de toute longueur. L'ennui ne s'installe jamais, on est saisi de fascination et d'émotions de la première à la dernière image. Le film est une chronique amère du temps qui passe, ici celui d'une vie d'homme. Ou plutôt le temps de plusieurs vies qui se croisent, qui se perdent et se retrouvent toujours.

Nimbée d'une photographie mordorée de toute beauté, investie par une infinité d'atmosphères familières et magiques, portée par la sublime partition d'Alexandre Desplat et des mouvements de caméra d'une élégance folle, l'histoire se déploie avec fluidité et simplicité, épousant les différents moments d'une existence tout entière. La reconstitution de chaque décennie est époustouflante. Mais si le spectacle est colossal, il reste toujours humain. Douloureusement humain. Ce qu'explore le film de Fincher, c'est la tristesse infinie de nos vies, la peur viscérale de la mort comme celle du commencement. Vertigineuse situation que celle d'un homme qui naît comme un vieillard et qui meurt sous les traits d'un nouveau-né, dans les bras de sa bien-aimée, ridée et chenue. Bouleversant scénario qui touche à nos angoisses les plus profondes et les plus universelles, derrière son étrangeté assumée. Les questions que se pose sans cesse le protagoniste sont les nôtres. Plus que la peur de vieillir et de mourir, c'est la peur des extrêmes qui nous saisit, celle de la mort comme celle de la naissance. L'origine et la destination de la vie ne font qu'un dans L'Étrange Histoire de Benjamin Button. Avant de venir au monde ou après l'avoir quitté, il n'y a que le néant, la plus grande et la plus humaine de toutes les terreurs.

La principale qualité du film est d'avoir su donner un corps, un visage inoubliable à cette terreur, en la personne de Brad Pitt, qui livre une performance d'acteur irrésistible. Enfantin et enjoué lorsqu'il a les traits d'un vieillard ; d'une maturité déconcertante lorsqu'il retrouve la jeunesse qui était ironiquement la sienne au début de sa carrière (Thelma et Louise, Rencontre avec Joe Black...). Il y a quelque chose de terriblement poignant à voir Brad Pitt incarner un rôle marqué par les âges, à un moment de sa carrière où l'image de jeune playboy qui a forgé sa légende ne lui appartient plus. Derrière le personnage, c'est l'homme qui prend conscience de son âge et de sa propre mortalité. Le rajeunissement de Benjamin Button est bien plus douloureux que rassurant : ce n'est que du cinéma, un habile artifice qui n'éteint en aucun cas l'angoisse de l'âge. Il n'offre à son acteur qu'une cure de jouvence éphémère, le temps de quelques séquences où la magie des effets spéciaux se révèle sidérante. Car, ainsi que le dit la réplique la plus marquante du film, « rien ne dure jamais ». La leçon bouleverse autant qu'elle fascine, par la réversibilité de sa puissance d'évocation : si la vie a une fin, le cinéma peut en conserver l'éclat, à tout jamais ; il peut maudire les Parques et, avec une fière insolence, refuser de lâcher prise. De la « prise de vue » à la « prise de vie », il n'y a qu'un pas...

5sur5

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23 avril 2010 5 23 /04 /avril /2010 20:56

jones13

Film de gangsters typique, portrait du bras droit de John Dillinger, surnommé malgré lui Baby Face Nelson, à cause de son visage poupin. Michael Mann s'est assurément beaucoup inspiré de ce film de Don Siegel pour son Public Enemies, allant jusqu'à copier au plan près une scène de fusillade autour d'un chalet en pleine forêt. La nervosité du protagoniste, véritable électron libre, imprévisible, contamine toute l'intrigue et son déroulement, grâce à la formidable prestation de Mickey Rooney, star hollywoodienne de l'époque. Loin de tout manichéisme, la mise en scène des gangsters se pare d'une troublante ambiguïté : sous les gueules d'anges se cachent de véritables démons.

3,5sur5

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23 avril 2010 5 23 /04 /avril /2010 06:02

KICKASS

Un ado solitaire qui rêve de devenir un super-héros, une gamine de onze ans transformée en machine à tuer par son vengeur de père, le fils d'un parrain de la pègre qui veut suivre les traces de son paternel malfaisant... Des humains (presque) ordinaires, justiciers costumés à leurs heures, qui se croisent pour le meilleur comme pour le pire dans un univers décadent régi par la loi du plus fort, miroir à la fois décalé et terrifiant de notre propre société. Si Kick-Ass fait mouche, c'est parce qu'il est crédible. Les personnages, plongés dans le chaos du monde, victimes tragiques de son absurdité, n'ont jamais été aussi accessibles, attachants. Rarement l'identification aura été autant poussée dans un film de super-héros. Parce qu'il n'y a justement aucun super-héros. Les fameux costumes ne sont que des masques-miroirs dissimulant des failles bien humaines, du mal-être de l'adolescent à l'impossible deuil d'un père mû par le désir de venger la mort de son épouse, au point d'initier sa fillette aux arts du combat.

S'il est ultra-violent, Kick-Ass ne fait cependant pas l'apologie de la barbarie. L'agression se double toujours d'un questionnement malade : comment peut-on en arriver à confier les armes à une enfant ? La montée de la violence nous poussera-t-elle à de telles monstruosités ? C'est ce que suggère la confrontation entre Big Daddy (Nicolas Cage, déjanté et effrayant) et un collègue policier, qui lui rappelle que sa bouchère de fille n'a que onze ans, qu'elle mérite une enfance insouciante. Derrière son humour noir décapant, Kick-Ass dépeint avec amertume le pourrissement déjà très avancé de l'innocence dans nos sociétés. La manière est un peu outrée, mais porteuse d'une inquiétante vérité. Injustement annoncé comme un simple film de geeks, pour ados attardés, le film de Matthew Vaughn pose de vraies questions de fond, extrêmement troublantes.

Mais Kick-Ass n'est pas seulement brillant sur le fond. Visuellement impressionnante, photographiée avec une élégance folle, montée avec une fluidité exemplaire, cette fresque déjantée s'autorise des envolées épiques d'une rare intensité, renvoyant au placard Spider-Man et ses pairs. La tentative de sauvetage de Big Daddy par sa fille (alors qu'il est pris en otage) est un pur morceau de bravoure, une tuerie audio-visuelle, un carnage stroboscopique au ralenti transcendé par un puissant morceau musical de John Murphy. Grandiose ! Une scène d'anthologie qui annonce un finale tout aussi fracassant. L'intensité tétanisante de ces explosions d'action trouve un parfait contre-point lors de scènes comiques irrésistibles, d'une liberté de ton inhabituelle (donc bienvenue), entre humour noir et délire trash. Une légèreté ambigüe qui repose sur le jeu des acteurs, parfaitement dans le ton : Aaron Johnson incarne un Kick-Ass immédiatement sympathique, effrayé et excité par le tournant inattendu que prend son existence lorsqu'il enfile son costume ; Mark Strong excelle dans son rôle de méchant aussi intimidant que risible ; Chloe Moretz confère à Hit-Girl une personnalité qu'on n'est pas près d'oublier, elle devient en à peine deux heures une icône nouvelle, une figure déjà culte de gamine exterminatrice à la fois redoutable et fragile, sanguinaire et innocente.

Pas très moral de faire endosser un tel rôle à une enfant, disent certains médias américains. Ils n'ont décidément rien compris au pouvoir de vision du cinéma, cette capacité de projeter les images les plus dérangeantes sur l'écran de nos rêves et de nos pires cauchemars. Hit-Girl est l'allégorie désenchantée d'une jeunesse mutilée. Au lieu d'y voir un objet de scandale, il serait peut-être temps d'élever nos enfants avec le respect qu'ils méritent. Pour éviter d'en faire des monstres. Par-delà ses qualités esthétiques et ses dehors irrévérencieux, Kick-Ass est porteur d'une morale, certes paradoxale, mais juste. Un film de super-héros jubilatoire et fascinant !

4,5sur5

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23 avril 2010 5 23 /04 /avril /2010 05:35

la comtesse

Hongrie, XVIIème siècle. Terrifiée à l'idée de vieillir, désespérée par la mort de son époux et le départ de son amant, la Comtesse Bathory trouve le moyen (éphémère...) de rester éternellement jeune, en imprégnant sa peau flétrie du sang de vierges innocentes. Dans les alentours de son château, c'est le début d'un monstrueux carnage.

Sinistre. C'est le premier mot qui vient à l'esprit après avoir vu La Comtesse de Julie Delpy. Tout y est sinistre, des décors grisâtres filmés en clair-obscur à la psychologie des personnages, en passant par l'intrigue, d'une pesanteur de mort ahurissante. C'est très beau (à condition d'être sensible à la « beauté du mal »), les plans savamment composés ressemblent à de saisissants tableaux gothiques, la musique est tour à tour hypnotique et inquiétante, l'atmosphère est malsaine à souhait. Esthétiquement parlant, le film impressionne. C'est là sa plus grande force, mais aussi sa plus déplaisante limite.

La cinéaste / actrice principale / compositrice a tellement soigné ses images qu'elle a en quelque sorte oublié de leur donner une véritable intensité dramatique. Sans aller jusqu'à parler de coquille vide, on peut dire que l'histoire de la Comtesse sanguinaire, exploration clinique et rationnelle du mythe du vampire, ne nous touche pas vraiment. Sa froideur aristocratique vampirise tout le film, à tel point que l'intrigue laisse de marbre. Seules les exécutions rituelles parviennent à instaurer un vrai malaise. Pour le reste, le personnage de la Comtesse est tellement impénétrable qu'il finit par nous échapper totalement. Le refus systématique de tout débordement romantique finit par nous refroidir. Les ébats amoureux sont à peine suggérés, les corps ressemblent à des figures de cire pâle. Face à tant d'austérité, l'identification est impossible et l'ennui finit par s'installer.

Quelques scènes mémorables tout de même, comme une auto-mutilation filmée en gros plan, permettant à la Comtesse de garder littéralement en son sein un fragment de son amant perdu, ou le saignement méthodique d'une pauvre servante, sacrifiée pour satisfaire l'obsession monstrueuse de sa maîtresse. Un conte cruel bancal, mais d'une beauté glacée pétrifiante, qui finit par infuser un trouble diffus dans l'esprit de son spectateur.

2,5sur5

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23 avril 2010 5 23 /04 /avril /2010 04:17

les invites de mon pere

Lucien, médecin à la retraite, décide de militer en faveur des sans-papiers : il héberge chez lui, en toute illégalité, une jeune Moldave, Tatiana, et sa fille. L'arrivée des deux réfugiées va semer le chaos parmi les proches du vieux docteur.

Les Invités de mon père commence comme une comédie, avec son lot de situations et de répliques cocasses (hilarante scène de repas familial avec les deux étrangères) pour s'achever sur un finale apocalyptique, au sens littéral du terme. Mise en scène comme un cauchemar progressant par crescendo, la présence « délétère » de Tatiana déclenche une crise révélatrice au sein de la famille de Lucien. Confrontée aux descendants du docteur, bourgeois jusqu'au bout des ongles incarnés par Fabrice Luchini et Karin Viard, elle réveille en eux des pulsions enfouies, des frustrations et des rages étouffées par le carcan des conventions. Le ver ne se contente pas de se loger dans le fruit, il le fait littéralement imploser. La comédie devient satire, la satire devient pamphlet, le pamphlet frôle la tragédie avant d'y sombrer. Dans un univers où tout n'est qu'apparences, où chacun calcule sa petite vie tranquille en fonction de celle des autres, le bonheur des bourgeois fait le malheur de ceux qui osent s'immiscer dans leurs habitudes. Tableau au vitriol d'une coquille irréductiblement close sur sa propre suffisance, sa propre vanité. Peinture inquiétante d'un milieu capable des pires bassesses pour maintenir ses fondements poussiéreux. Nulle échappatoire : ceux qui osent s'affranchir (le personnage de Karin Viard, pathétique de liberté dérisoire) finissent par perdre les pédales. Lucien n'a pas le droit de terminer sa vie comme il l'entend, on décide pour lui, on veut « le voir comme un vieillard ». Parce que c'est mieux ainsi. Parce que c'est dans l'ordre des choses. La vieillesse est une prison gérée par les plus jeunes, forcément plus capables que leurs aînés. Même s'ils sont totalement névrosés.

Anne Le Ny livre un film doublement moraliste. Sa peinture des mœœurs de la bourgeoisie parisienne évoque les pages les plus acides des Caractères de La Bruyère, rappelant que depuis 1688 les mentalités ont bien peu changé. Sa vision de la nature humaine, d'une précision et d'une lucidité redoutables, donne épaisseur et gravité à l'intrigue, tout en brossant une galerie de personnages à la fois détestables et attachants. Le trait est outré, mais c'est justement le propos du film, qui semble s'écrire à la manière des caricatures d'un Charles Philipon. Les Invités de mon père fait rire autant qu'il provoque le malaise. Avançant tel un funambule entre ces deux extrêmes, la comédie d'Anne Le Ny s'impose par la finesse de sa mise en scène et la maturité de son propos. Des qualités assez rares dans le cinéma français actuel pour être soulignées et reconnues.

3,5sur5

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23 avril 2010 5 23 /04 /avril /2010 03:01

Tete-de-Turc

Après avoir incendié sa voiture, un jeune Turc sauve in extremis un médecin des flammes. Rongé par sa conscience, il ne peut se résoudre à accepter la médaille du courage que le gouvernement veut lui remettre. Premier point positif, Pascal Elbé préserve son film du pire : on aurait pu craindre un pseudo-brûlot didactique et moralisateur sur le « cas des banlieues », il n'en est rien. C'est à une pure tragédie que l'on a affaire. Moderne, urbaine, sombre, torturée, intense et tendue à craquer, construite autour du dilemme du jeune incendiaire. Empruntant la voie du thriller, l'acteur-cinéaste libère son histoire des codes du film social pour lui donner un rythme fiévreux, une noirceur d'ébène, des explosions de violence redoutables. Bâti comme une œœuvre chorale, Tête de Turc fait s'entrecroiser de multiples destins. Les trajectoires des personnages, bouleversées et connectées par l'incendie de la voiture, nous sont dépeintes avec une nervosité et une âpreté effrayantes. L'intrigue est une véritable descente aux enfers, filmée en caméra portée (jamais hystérique), au plus près des corps et des visages.

S'écartant de tout jugement facile sur le monde des banlieues françaises, Pascal Elbé nous en livre une vision lucide, désenchantée et finalement très universelle. Le quartier où se déroule l'action a tout à voir avec celui de Gran Torino, où un vieil Américain grincheux se confronte à des gangs asiatiques. Dans tous les cas, « c'est un univers morne, à l'horizon plombé, où nagent dans la nuit l'horreur et le blasphème. » Au milieu d'un chaos entaché de sang et d'ombres, on retiendra surtout l'inoubliable figure de mère, fière et fragile, incarnée par Ronit Elkabetz, impressionnante de force et de désespoir. A elle seule, elle rattraperait presque tous les malheurs semés par les mâles belliqueux qui l'entourent. Éclat ténu de dignité dans les ténèbres de la barbarie.

3,5sur5

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